1 - Liban multilingue.

La tradition scolaire est si profondément ancrée dans l'esprit libanais qu'il n'a pas été jugé nécessaire d'inscrire l'obligation de l'enseignement dans la constitution 765 . Le Liban n'a jamais cessé de croire en sa vocation de lien entre Orient et Occident, qu’il cherche, au contraire, à justifier davantage en fouillant dans son lointain passé foisonnant de ces rencontres multiculturelles 766 . Son souci de multilinguisme s'ancre donc dans le passé comme dans l'avenir. C'est ainsi que, contrairement à de nombreux pays où la langue de l'occupant a été violemment rejetée dès les premiers balbutiements d'indépendance, le Liban n'a pas rejeté le français, mais a développé, parallèlement, l'enseignement de l'arabe. Le premier gouvernement national après l'indépendance chercha à renforcer l'enseignement de l'arabe dans toutes les écoles du pays , tout en maintenant pour les élèves le choix entre plusieurs langues étrangères 767 . L'arabe devint obligatoirement la langue véhiculaire de l'enseignement ; néanmoins, un certain nombre de disciplines continuèrent à être enseignées en langue étrangère au niveau de base 768 .

Or le vieux système imposé par les Français avait du mal à disparaître. Si langues et cultures étrangères avaient toujours une place de choix dans le nouveau système, il était faussé : pour qu’ils puissent faire un choix véritable, il aurait fallu que des structures adéquates fussent proposées aux élèves : or, les professeurs de langue anglaise étaient incompétents 769 . Cette incompétence s'expliquait par la prédominance du français pendant de nombreuses décennies, qui avait laissé peu de chance à l'anglais de se développer, encore moins de s'implanter. D'ailleurs si l'on compare les programmes de l'une et l'autre langue, on s'aperçoit rapidement de la différence de traitement. Au niveau primaire supérieur :

Reading begins in the first year with literary selections from twentieth-century French writers and poets; in the second year, selections from the eighteenth and nineteenth-century writers are studied; in the third year, writers of the seventeenth century; and in the fourth year all periods are studied, included the complete works of such authors as Corneille, Racine, Lamartine, Chateaubriand, Molière and Victor Hugo. In the fourth year, selections for readind keep pace with a course in the history of French literature.[...] English starts in the first grade. [...] Supplementary reading material is introduced in the fifth grade and conversation in English in class in encouraged. [...] The books recommended are to be selected from those specially written for foreigners, viz., those by Michael West (in use also in Egypt and parts of India), by Morris (in use in Palestine ), and by Leavitt (developed and used at the AUB and schools allied to it). 770

Au niveau secondaire :

French is given in the fifth and sixth years with emphasis on the evolution of the language and literature. The sixteenth and seventeenth centuries are well covered, with some attention given to the eighteenth and nineteenth. Special attention is paid to the works of Corneille, Racine, Molière, and La Fontaine among the poets, and to Voltaire, Rousseau, Bossuet, La Bruyère, and Pascal among the prose writers. Selections are studied from the nineteenth century novelists and historians. The Orient in French literature as depicted in works by Volney, Chateaubriand, Lamartine, De Nerval, and Barrès, is discussed, and Romanticism, Realism and Symbolism as schools of literature are defined.In English [...] an outline history of English literature (is) studied. In the sixth year, two prescribed texts, of which one is to be a Shakespeare play, are required. 771

D'une part, l'enseignement de la littérature française était proposé comme il l’aurait été à des élèves français, supposant une connaissance approfondie et une maîtrise de la langue. C'était un cours de littérature envisagé dans un contexte culturel français. d’autre part, pour ce qui était de l'anglais, on le considérait comme un fait culturel étranger (The books... are ... specially written for foreigners). D'ailleurs, on insistait sur l'enseignement de la langue proprement dite. Si l'on étudiait de façon assez approfondie les différents courants littéraires français, de la littérature anglaise on ne donnait qu'un aperçu superficiel (an outline). Seuls deux auteurs anglais étaient étudiés en sixième année alors qu'une pléiade d’écrivains français l’étaient dès la première année du niveau primaire supérieur 772 .

Mais le choix d'une langue étrangère correspondait-il réellement chez les élèves et leurs parents, à une volonté d'imprégnation culturelle ? Ou bien l’envisageaient-ils sous un aspect utilitaire  773 ?

Notes
765.

L’article 10 de la constitution libanaise proclame :»L'enseignement est libre en tant qu'il n'est pas contraire à l'ordre public et aux bonnes mœurs, et qu'il ne touche pas à la dignité des confessions. Il ne sera porté aucune atteinte aux droits des communautés d'avoir leurs écoles, sous réserve des prescriptions générales sur l'instruction publique édictées par l'Etat.» ( cité in Valin, E.J.P. Le pluralisme socio-scolaire au Liban. p.15).

766.

Voir Matthews, Roderic D. and Akrawi, Matta. Education in Arab Countries of the Near East. p. 432-433.

767.

767 Voir Tibawi, A.L. Islamic Education, Its Traditions and Modernization into the Arab National System. p. 137.

768.

Matthews, Roderic D. and Akrawi, Matta. Education in Arab Countries of the Near East. p. 426. Voir aussi Tibawi, A.L. Islamic Education, Its Traditions and Modernization into the Arab National System. p. 138.

769.

Tibawi, A.L. Islamic Education, Its Traditions and Modernization into the Arab National System. p. 138. Voir aussi Larudee, Faze. TEFL in the Middle East , A Preliminary Survey. p. 127-128.

770.

Matthews, Roderic D and Akrawi, Matta. Education in Arab Countries of the Near East. p. 433-434.

771.

Matthews, Roderic D and Akrawi, Matta. Education in Arab Countries of the Near East. p. 446.

772.

«Parallèlement à la littérature arabe, la littérature française est enseignée dans les écoles libanaises comme en France même et y accomplit la même fonction d' « humanisme » , tandis que la littérature anglo-américaine reste une matière de spécialisation dans laquelle ne manquent pas de se distinguer les adeptes de la culture.» (Abou, Sélim. Le bilinguisme arabe-français au Liban. p. 76.)

773.

«A foreign language must [...] be taught side by side with Arabic language - and taught well, bearing in mind the cultural benefit accruing from such teaching. In the modern world, French and English have the greatest vogue and potential usefulness.» (Matthews, Roderic D. and Akrawi, Matta. Education in Arab Countries of the Near East. p. 433.)