3 - Milieu professionnel.

Orientaux et Occidentaux se côtoient dans divers milieux professionnels. Les milieux sociaux aisés ont des gouvernantes, tuteurs et autres domestiques étrangers, sur qui la charge de l'éducation des enfants repose souvent presque exclusivement :

I [...] saw less of my parents than of nurses, tutors, domestics, chattering in different tongues. (IH OOE 8)

Même s'ils sont arabes, certains de ces domestiques ont occupé un emploi auprès de compagnies étrangères où leur expérience des Occidentaux leur a donné un aperçu de la réalité coloniale. Ainsi Ahmed, le serviteur nubien, éprouve-t-il de l'hostilité à l'égard de Monsieur Monier le tuteur français, champion de lancer du javelot (IH OOE 17). Si l'enfant Ihab voit en Monsieur Monier une sorte de héros qui maîtrise la parole (il invente des histoires (édifiantes, naturellement)) et le javelot (l'instrument qui assure la force de la victoire sur la force brute), un héros qui enflamme son imagination et qu'il rêve d'imiter, Ahmed, lui, voit en ce même Monsieur Monier l’un de ces coloniaux qui méprisent les autochtones et les humilient. Monsieur Monier apparaît donc comme l'image de Janus qu’est l'Occidental au Proche-Orient, à la fois maître des cœurs et maître du fouet, image double, binaire que nous retrouverons à de nombreux niveaux de la rencontre Est/Ouest.

La Compagnie universelle du Canal maritime de Suez qui employait Ahmed ainsi que l'administration britannique ou les écoles anglaises au Proche-Orient offraient des possibilités d'emploi pour les classes éduquées (la plupart du temps dans ces mêmes écoles). Beaucoup de Syriens partaient en Egypte et au Soudan - sous domination britannique - afin d'y obtenir des emplois auprès de l'administration coloniale. Le père d'Edward Atiyah et plusieurs de ses oncles sont en poste au Soudan dans le domaine médical (EA ATS 26). Lui-même prendra la succession d'un de ses oncles qui sert d'intermédiaire/ médiateur entre l'Administration et les Soudanais (EA ATS 156). Les écoles offraient aussi des postes à des enseignants autochtones mais il s'agissait souvent de sous-emplois avec d'un côté les British Tutors et de l'autre les Syriens et les Soudanais, qui, à qualification égale, étaient relégués à des positions inférieures :

The non-British staff were mere instructors, who walked into the class-rooms, gave their lessons, walked out again and had nothing more to do with the boys till it was time to walk into the class-rooms again the following morning. (EA ATS 137)

Le style lapidaire fait ressortir la répétition du travail demandé et cette brièveté en signale le vide : on croirait lire ici une des nombreuses descriptions de l'apprentissage mécanique des écoles coraniques, répétition sans compréhension. Abraham Mitrie Rihbany vécut une expérience similaire au Liban à l'école missionnaire (AMR FJ 148). F.M. Al Akl, dans le milieu médical, se voyait aussi confier des tâches subalternes.(FMA 56)

Ces emplois révèlent à nouveau la double face des Occidentaux. Il faut remarquer que les emplois non subalternes confiés aux Orientaux sont des emplois liés à la médiation entre Occidentaux et Orientaux : professeurs d'arabe pour les nouveaux missionnaires (EA ATS 8), médiateurs,... utilisant leur double allégeance. Janus face à Janus.