Certains milieux sociaux sont plus spécialement concernés par ces rencontres Est-Ouest. L'élite des diverses sociétés avait fait le choix de se tourner vers l'Occident qui semblait offrir plus d'attraits et de possibilités que leur Orient natal.
La bourgeoisie égyptienne, à l'instar de la famille royale (IH OOE 40), avait adopté la langue et la culture françaises (EA ATS 49). Il semble qu'en Egypte ce snobisme culturel traverse toutes les communautés. Ainsi tous les amis escrimeurs d'Ihab Hassan, musulmans, coptes, fils de membres éloignés de la famille royale, de politiciens, de grands propriétaires, maîtrisent-ils le français mieux que l'arabe (IH OOE 76). Les Syro-égyptiens qu'Edward Atiyah rencontre à Ras-el-Barr sont francisés à tel point qu'ils sont aliénés de leur culture d'origine :
‘ These young Syrians from Cairo and Alexandria had been cast in a French mould [...]. They thought in French and spoke French; they had French tastes, sang French songs and quoted French literature and history. Most of the boys knew Arabic, but only as a second language for which they had no feeling. The girls, however, did not even know it. (EA ATS 48-49) ’Andrée Chedid, dans l’ ouvrage qu’elle a consacré à sa mère, rapporte sa propre ‘insuffisante maîtrise de la langue arabe’ 868 . Elle rappelle également comment lors de son divorce, sa mère ‘apprit toutes les subtilités de la langue arabe pour déjouer les méandres et les menaces des règlements nationaux et communautaires’. 869
Si la bonne société a tendance à s'assimiler à la culture française, c'est sans doute que les cercles britanniques sont beaucoup plus fermés. Même les Arabes formés dans les universités anglaises ne parviennent pas à être reconnus comme des pairs par leurs camarades étudiants ni surtout par leurs collègues diplômés. Une barrière infranchissable sépare les Britanniques des autochtones :
‘ I was flung back at one bound into a world of group barriers, a world in which an obnoxious fence was erected between East and West, and in which I, despite my long and passionate struggle to assimilate England and be assimilated by her was consigned to that side of the fence on which I was born. (EA ATS 137) ’Cette barrière raciale et ses différents avatars traversent la ville même de Khartoum, fondée par les Anglais.
‘ On one side of it lived the British officials, on the other everybody else, and social communications between the two were almost non-existent. (EA ATS 139) 870 ’Cette division raciale/raciste est reproduite par les étrangers résidant d'un côté de Khartoum, puisque les Soudanais sont rejetés de l'autre côté du Nil à Omdurman (EA ATS 139 - FMA 64). On peut se demander si cette division binaire imposée par les colonialistes anglais 871 n'informe pas la représentation du monde des Orientaux de culture anglaise.
Chedid, Andrée. Saisons. p. 49.
Chedid, Andrée. Saisons. p. 154. Et voir p.185.
Voir aussi FMA. 64.
Voir Abu-Lughod, Ibrahim. « Arab Cultural Consolidation : A Response to European Colonialism.»The Islamic Quarterly 29/1-2 (1975) : 34-35.