c - « Hero-worshipper of the West » .

Ce merveilleux rencontre donc un public crédule (rendu tel), prêt à admirer ceux qui détiennent ce pouvoir magique. Les Occidentaux leur apparaissent comme des objets de vénération. Du surhomme à Dieu, il n’est qu'un pas, vite franchi.

Pour l'enfant Edward Atiyah, menacé par un bombardement dont il ne comprend ni les tenants ni les aboutissants, le protecteur et défenseur victorieux ne peut être qu'un héros, d'autant plus que la menace est vécue et est terrifiante. Le défenseur lui, est invisible, hors de l'expérience du vécu quotidien (‘wrapped in the transfiguring mists of distance’ (EA ATS 41)). Cette distance lui confère le statut extra-ordinaire de héros intouchable. L'héroïsme est d'autant plus grand que l'expérience vécue est effroyable et le contact direct avec la mort, le réel, inévitable. Les protagonistes de cette lutte sans merci ne sont rien de moins qu'un souverain et un dieu (EA ATS 19-20). C'est un choc de titans, l'un et l'autre magnifiés par le fait que le point de vue est celui d'un enfant, ce qui creuse la distance et amplifie la faiblesse de l'un (l'enfant) et la force de l'autre (le vainqueur). Mais c'est la qualité de souverain du vaincu (un souverain est censé détenir une certaine puissance) qui rend la victoire plus grande. Le héros, puisqu'il est assimilé à Dieu, est investi de qualités divines : ‘truth, decency, courage, moral resolve’ (EA ATS 216). Il est parfait (EA ATS 41) et dispensateur de bienfaits (‘a strong and deep passion for freedom, law, and order’ (AMR WM 132)). Que le héros soit un dieu est signifié par l'attitude des Orientaux qui le reçoivent comme une révélation et le révèrent (EA ATS 216) dans ses temples (AMR FJ 280). L'archétype en serait un Winston Churchill (‘one towering leader’ (EA ATS 215)) :

His voice summed up all the qualities I had ever admired in England [...]. It was the voice of England, but it spoke for Humanity. (EA ATS 216),

dont l'envergure est universelle (for Humanity). Sa vocation divine est marquée ici par le fait qu'il est une voix, voix qui édicte La Loi dans la langue sacrée (‘in the language of Shakespeare’ (EA ATS 216)).

D'un héros particulier (Winston Churchill, le pilote de bombardier, le maître d'école) on passe au général : le héros tient lieu de symbole de l'Occident, et c'est tout l'Occident qui est divinisé :

They became hero-worshippers of the West. (EA ATS 2)

Ainsi les qualités appliquées à un individu - qui demeurait malgré tout une abstraction - sont transférées à son lieu d'origine, autre abstraction, plus vague encore. Cet Occident sera un paradis (heaven est récurrent), peuplé d'anges (SR 135-220), ouvert à un peuple élu (‘chosen people’ (AMR FJ 282)). Ces héros ont des intermédiaires auprès des Orientaux béats d'admiration: ceux qui transmettent un savoir les concernant. Les maîtres d'école révèlent des moyens d'imiter ces idoles lointaines et donnent quelques clés d'accès à leur monde :

England and the English people whom I had hitherto loved and admired from a distance, through hearsay and in the abstract, now entered my life and became a dear reality to me. (EA ATS 34)

Mais cette réalité à laquelle les Orientaux accèdent est imaginaire (ici, pour Edward Atiyah, il s'agit de courir les bois avec Robin des Bois, d'écouter Sherlock Holmes discuter avec le Docteur Watson...) : les Occidentaux, par leurs artifices, leur proposent une fiction d'eux-mêmes, fiction flatteuse, désirable, qui rencontre un public friand de contes :

We are an imaginative people, a poetic people, a people of dreams, passions, wild fancies. ( SR 76)

Les Occidentaux utilisent cette propension à l'imaginaire pour semer, de leur monde, une image positive que les Orientaux vont s'approprier et modifier ; comme les techniques modernes souvent incompréhensibles, ces images (qui contiennent des éléments inconnus des Orientaux) sont ensuite réinterprétées au moyen de comparaisons issues du monde connu, elles sont transmuées (‘wheat grows like weeds’ ( SR 161)) et ainsi déconnectées de la réalité, de la vérité. On peut avancer que l'Occident tel que l'imaginent les Orientaux est à la fois le produit de la vision partielle (uniquement positive) qu'en donnent les Occidentaux et de la transformation que l'insuffisance des connaissances des Orientaux lui fait subir :

It is really hard to say what we did believe about America [...] while the beautiful poetry about it conveyed to us a reality we could not have understood any other way, it also served to confuse and mislead us. (SR 76)’

La réalité occidentale subit donc une double déformation qui l’entraîne chaque fois davantage vers le merveilleux, les uns souhaitant attirer les autres vers leur civilisation dominatrice, les autres cherchant à échapper à une réalité difficile (dont nous verrons qu'une autre déformation la fait apparaître négative).