b- « East is East and West is West » .

Les écoles donc, essayaient d'abattre les barrières confessionnelles pour créer une unité dans le cadre scolaire (EA ATS 57). Cette unité semble se faire autour d'une entité séculière, le college. Ce système éducatif cherche à développer un esprit de corps qui abolit les clivages traditionnels. Sachant que la plupart de ses élèves occuperont des postes dans l'administration britannique, on peut supposer que le but du système est de créer une loyauté à cette administration, vierge de toute trace des conflits passés qui ne peuvent être que nuisibles au bon fonctionnement de cette imposante machine. Or, une lecture attentive des pages consacrées à la vie d'Edward Atiyah à Victoria College à Alexandrie révèle que la population scolaire est en majorité orientale (‘Armenians, Greeks, Egyptians, Syrians, Jews, Maltese’. (EA ATS 56)) : on n’y trouve aucune mention d'élèves anglais. Ceci tendrait à montrer que le nivellement des différences ne se fait que parmi les autochtones. D'ailleurs, l'identité créée, le point de convergence, n'est que victorienne(‘We 're all just Victorians’. (EA ATS 54)). Si les écoliers s'identifient à l'Angleterre, c'est en franchissant des barrières interdites - ou du moins, non prévues - en faisant des sauts métonymiques hâtifs. Passage du particulier au général, et, comme dans toute généralisation, un certain nombre de détails abandonnés, niés ; or, ce sont précisément ces détails qui font la différence. L'enfant Edward Atiyah passe d'une relation d'élève à maître à une relation d'Oriental à Anglais (EA ATS 57), oubliant au passage ses propres loyautés divisées, qui font de lui un plus tout à fait Oriental : on peut supposer que l'identification de l'élève au maître se fait sur les points de convergence et non sur les points de divergence.

Le monde du college est un monde clos, avec ses propres règles :

I was living in a new world where the barriers that had seemed so natural and formidable in that outside world in which I had lived tell then, did not exist, seemed absurdly unreal. [...] We were all treated as equals. (EA ATS 57)

Il est une différence marquée entre ce collège et le monde extérieur : si Edward Atiyah, dans sa lecture partielle des signes, n'applique les barrières qu'entre arabes de diverses confessions, il oublie que les mêmes barrières séparent les autochtones des Anglais. D'ailleurs si égalité il y a à Victoria College, elle participe de l'autorité et ne s'applique qu'aux élèves. On lit bien : we were all treated et non pas we all treated one another. FMA Al Akl exprime des remarques similaires sur l'Université américaine de Beyrouth, qui font ressortir le décalage entre idéal et réalité ( [It] stratified the faculty, creating an atmosphere incompatible with the democratic ideal which the school was trying to infuse in the country. (FMA 159)). Ce mythe de l'unité, de l'égalité est détruit par le contact avec la réalité professionnelle. Gordon College à Khartoum ouvre les yeux d'Edward Atiyah qui y découvre que cette unité n'est développée qu'afin de créer une nouvelle classe sociale d'Orientaux occidentalisés. Ces derniers qui avaient cru pouvoir vivre et travailler en osmose avec leurs pairs britanniques se trouvent parqués à distance respectable de ces derniers (EA ATS 137) et découvrent le sens du mot insularité (EA ATS 108) accompagné d'une série de signifiants de la séparation (remote , aloof... (EA ATS 41)) 889 . Le clivage binaire qui avait été gommé (chrétien/musulman) est remplacé par cet autre clivage binaire (oriental/anglais). Cette nouvelle barrière est frappée d'un interdit (forbidding (EA ATS138)) et ceux qui essaient de la franchir y risquent leur intégrité (Moawiya par exemple). Si dans le rapport de forces traditionnel il existait un semblant d'équilibre (les chrétiens protégés par les Occidentaux parvenaient ainsi à faire le poids face aux musulmans), il n’est aucune égalité possible dans cette nouvelle partition. L'Occidental l'emporte dans la mesure où il édicte les règles et qu'il les conçoit à son avantage. Les images de supériorité sont légion : Olympians, haughty master (EA ATS 41), imperial megalomania (EA ATS 108) the aura of sovereignty, military authority, superior species, imperial forces, (EA ATS 138), paternal ruler (EA ATS 158), racial arrogance, on elevated thrones (EA ATS 159), master race (FMA 62)...

Cette supériorité creuse l'écart, rend plus définitive la coupure et signe l'altérité. Au rêve de fusion, d'assimilation, se substitue la confrontation avec l'Autre (alien (EA ATS 138)). L'Occidental est un mauvais père qui pervertit la Loi en la détournant à son profit. Au lieu d'être un père protecteur, il est destructeur :

Their minds have achieved great things, but the barbarian in their souls has not been tamed yet. They are predatory. They love domination and war and destruction. They have conquered the world but they have failed to conquer the greed and ferocity of their own nature... (EA ATS 150)’

Il s'agit d'un mauvais père dans la mesure où il fait son propre éloge (‘self-gloried’ (EA ATS 41)) sans le mériter.

Notes
889.

George Antonious, malgré l'admiration que certains officiels britanniques portaient à ses capacités fut soumis à une discrimination du même type lorsqu'il travaillait au Departement of Education à Jérusalem