d - « Western gadgetization » .

La crise qui couve en Occident n'est, semble-t-il, pas tant matérielle que spirituelle. L'Occident triomphant est ébranlé par les diverses épreuves qui l'ont traversé et en particulier la Première Guerre mondiale. C'est Robert Levens, l'ami britannique d'Edward Atiyah qui commence à démonter le mythe de l'Occident que s'était fabriqué ce dernier :

The great disillusionment engendered by that event [WWI] had shaken their faith in the very bases of Western civilization- the industry which fed it, the mechanization which lay behind that industry, the science on which that mechanization was founded, and the materialist conception of life which born of all this activity dominated and, perhaps, doomed the West. [...] The West, it seemed, was hopelessly committed to an industrial civilization which had led to moral disaster and might lead to it again. (EA ATS96)’

Le matérialisme que dénonce plus particulièrement Abraham Mitrie Rihbany dans son pamphlet, Wise Men from the East and from the West, est le mal occidental auquel tous les auteurs sont confrontés et qu'ils acceptent le plus difficilement. S'ils cherchaient un certain mieux-vivre, ils n'étaient pas préparés par leur culture et leurs traditions sociales à ce matérialisme individualiste avec lequel ils doivent composer. De l'idéal au gadget (FMA 247), il n'y a qu'un petit pas. Tout semble, en Occident, avoir perdu sa vraie valeur, valeur liée à l'humain : Salom Rizk en donne, entre autres, deux exemples, l'un dramatique, l'autre humoristique. Dans le premier (SR 227-228), à l'issue d'une des multiples conférences sur la manière de sortir de la crise, Salom Rizk se met à brûler des épis de blé - la surproduction, lui a-t-on dit, est facteur de crise; en voyant partir en fumée cette denrée qui manque dans les villages de Syrie, il se rend compte du déplacement de l'importance relative des choses :

It is insanity [...], a confession of human madness, the final proof of our common stupidity.(SR 228)’

Dans le second exemple, il imagine une Amérique musulmane où toute activité s'interromprait cinq fois par jour pour la prière (SR 265) : une alternative à la course au profit et au bien-être matériel s'il n'est pas équilibré par une quête plus spirituelle. Ce n'est pas sans une certaine ironie qu'il déclare, après sa visite aux abattoirs :

I had seen the miracle and ingenuity that is America. And, anyway, th at was the worst job I ever had. (SR 138) :

le miracle et l'ingéniosité américains ne sont qu'un travail avilissant où l'homme se perd corps et âme, s'il ne respecte pas la mécanique.

La belle mécanique occidentale au service d'elle-même et non de l'homme se grippe. Matérialisme et individualisme poussés à l'extrême engendrent racisme, fascisme et nazisme. Salom Rizk est hanté par les images de l'Europe fasciste qu'il a rencontrée sur son chemin de retour vers la Syrie. Il y voit une régression de l'Occident vers un état pire que celui de la Syrie ottomane qu'il a quittée (‘It sounds like something out of the Dark Ages’. (SR 258)). Alors que dans un deuxième temps, avec son optimisme naïf habituel, il considère que ce nouveau départ accordé aux juifs exilés est le seul espoir pour la démocratie et pour l'humanité (SR 261-262), la plupart des autres auteurs y lisent la preuve du cynisme occidental :

They are the most selfish people in the world. They are absolute utilitarians. They make use of you as long as they need you, then they drop you just as you throw away a squeezed lemon. (EA ATS 71)’