C - LA LANGUE DE L'AUTRE.

The real America, the America you grasp with the understanding, is always eluding you because you do not have the key. (SR 153)’

S'identifier imaginairement à l'Occidental est un premier pas vers l'Occident rêvé ; apprendre sa langue est un pas plus décisif, prise de position d'un sujet en quête d'un ailleurs meilleur. Edward Atiyah et Ihab Hassan choisissent la langue de l'Autre pour fuir une réalité qui ne les satisfait pas :

My mother taught me French - English I taught myself .(IH OOE 19)’ ‘ I have made English my language. (EA ATS 124)’

L'anglais n'est pas imposé de l'extérieur à ces auteurs qui choisissent d'en faire leur langue. Il s'agit pour eux d'une démarche individuelle qui correspond soit à une fuite (pour Ihab Hassan, l'anglais est la troisième voie entre l'arabe paternel et le français maternel; pour Edward Atiyah, il s'agit de fuir l'univers instable et menaçant du Liban déchiré par les conflits internes), soit à un désir d'intégration (pour tous ceux qui sont partis à l'étranger, l'apprentissage de la langue s'est révélé indispensable) 898 . Cette double dynamique (présente chez tous les sujets dans des proportions différentes) est un des points autour desquel se (re)constituera le sujet dans l'autre langue.

Si dans le contexte général du Proche-Orient, il n'est pas question de langue étrangère qui aurait usurpé la place de l'arabe, s'il n'existe pas de clivage entre la reconnaissance officielle d'une langue et la pratique quotidienne (comme c'est le cas au Maghreb), il demeure cependant une différence de statut des langues en présence pour un certain nombre d'individus. Si l'on accepte que ‘le statut [d'une langue] dépend [...] du statut de ses locuteurs’ 899 , sachant le statut dominant accordé aux Anglo-américains par les auteurs qui nous occupent, il n'est pas surprenant que ceux-ci aient choisi de s'exprimer dans la langue sacrée de la race supérieure. Si le modèle d'identification local est contesté, sa langue sera contestée : Edward Atiyah (EA ATS 81) et Ihab Hassan (IH OOE 61) auront l'un et l'autre des problèmes de maîtrise de l'arabe.

Le choix de l'anglais s’organise autour de trois axes clés, liés au statut des Occidentaux anglo-américains: le pouvoir, le savoir, la communication.

Notes
898.

Voir Boukous, Ahmed. «L'usage (d'une même langue) en tant qu'indice d'appartenance au groupe et comme symbole de solidarité; en revanche, l'abandon de la langue est perçu comme un acte de démission et de rupture des liens de solidarité avec le groupe.» («Bilinguisme, Diglossie et Domination Symbolique» . Du Bilinguisme . p. 49.)

899.

Boukous, Ahmed. «  Bilinguisme. » p. 168.