1 - La patrie mythique de l'Occident.

This was an entirely literary vision of the Orient. It did not occur to me at the time that it had any relevance to the real Middle East in which we lived - as indeed it did not. I saw a fascinating confirmation of the emotive power of stories. These things were so potent that they could come to life, just as I had always suspected. 916

L'Occident est fasciné par l'Orient, un Orient qui lui échappe dans sa différence. L'Occident colonialiste le soumet militairement et économiquement pendant que l'Occident culturel le réduit à un univers textuel, une fiction : l'Occidental en Orient cherche confirmation de cette fiction, accentuant la différence avec l'Orient réel, en inadéquation avec cette fiction de lui-même.

L'Occident est fasciné par le passé prestigieux de l'Orient où il trouve la source de sa civilisation (FMA 335) : inutile de rappeler comment Bonaparte et ses savants se sont approprié l'Egypte ancienne ni comment les biblistes occidentaux ont accaparé les études bibliques. Ce décalage temporel et spatial donne lieu à toutes sortes de fantasmes exotiques. L'épopée des Croisés, les mystères de l'Orient (mystères qui ne sont mystères qu’en raison du peu d'empressement des Occidentaux à les percer et surtout à cause de leur européocentrisme) suscitent un engouement jamais démenti : l'Oriental fascine, inquiète 917 et ne cesse de faire jouer l'imaginaire occidental. D'élitiste, cet intérêt pour l'Orient est devenu populaire et s'est éloigné davantage de ses sources, si bien que l'Occident, de plus en plus tourné vers le matérialisme scientifique, technique, a perdu de vue l'Orient réel. Si l'Orient avait quelque chance d'être intelligible, il fallait faire ressortir les similitudes, le patrimoine commun. Or, l'Occident fasciné par l'Orient, dans la recherche de ses origines spirituelles et culturelles a fini par oblitérer les siècles de civilisation arabo-musulmane, inintelligible parce que trop différente de lui. Ainsi, Gregory M. Wortabet dans son historique de Damas passe directement des Croisades à Bonaparte (GMW vol. 1 197). Comme l'Orient contemporain qu'il rencontrait était pétri de cette civilisation qui lui était étrangère, l'Occident a rejeté cet Orient inconnu dans lequel il ne se reconnaissait pas, l'a minimisé, méprisé au profit de son Orient imaginaire de prédilection. Pour faire coïncider son image avec la réalité, l'Occident a nié l'Orient arabe, le jugeant indigne de ce patrimoine antique, se l'appropriant (en l' emportant dans ses musées, en le figeant sur ses toiles ou sur ses pages blanches). C'est ainsi que la rencontre Occident-Orient ne peut se faire qu'avec ceux qui étaient les moins indignes de ce passé : les chrétiens (les Coptes d'Egypte sont les doubles héritiers des pharaons et des premiers chrétiens). C'est cet héritage commun qui a fait voir à quelques-uns une continuité entre l'Occident et l'Orient ; Salama Musa alla même jusqu'à écrire que l'Egypte était partie intégrante de l'Europe, racialement et culturellement 918 . Cette méconnaissance de l'Orient contemporain se traduit par une grande confusion au niveau de la désignation de l'Orient. L'appellation Terre Sainte l'emporte souvent dans un discours où l'idéologie religieuse prédomine (‘M A.M. Rihbany, a native of the Holy Land’(AMR FJ 308)). A l'Empire ottoman il n'est pratiquement fait allusion que par Gregory M. Wortabet dans un titre complexe : Syria [...] or Turkey in the Dependencies, où apparaissent deux entités distinctes, Syrie et Turquie, dans un rapport qui n'est pas explicite. Edward Atiyah explique ce que le signifiant Syrie recouvre à diverses époques (EA ATS vii). Les Occidentaux sont aussi peu renseignés sur l'Orient que les Orientaux le sont sur l'Occident. L'absence de dénomination précise est un des signes de mépris que l'Occident éprouve pour l'Orient réel. Orient, Terre Sainte sont les signifiants imprécis de son imaginaire, alors que Syrie, Liban, etc. impliqueraient une prise en compte des limites et des différences, de la réalité.

On a dit que les écrivains qui nous concernent ont été formés par ces Occidentaux mêmes qui n'ont qu'une idée imprécise de leur réalité. Ils ont accepté cette parole occidentale sur eux-mêmes et l'ont faite leur. Ceci les met dans une position décalée par rapport à leur environnement. Au lieu d'y vivre, ils le regardent avec des lunettes déformantes - comme les amateurs de pittoresque regardaient les paysages à travers leur Lorrain glasses plutôt que de les regarder directement. L'Oriental occidentalisé assiste au spectacle de son Orient 919 . Il est à la fois spectateur et spectacle, spectacle commandité par l'Occidental qui reflète son imaginaire. L'Oriental est le reflet passif de cet imaginaire qu'il renvoie docilement à l'Occidental. Ainsi la vision de l'Orient qui ressort de ces textes est faussée (‘warped’ EA ATS) : elle correspond aux deux attitudes de l'Occidental, fascination pour le passé, mépris pour le présent.

Notes
916.

Lively, Penelope. Oleander . p.84

917.

On se souviendra à cet effet du traitement de Saladin, même et autre, dans le roman de Walter Scott, The Talisman (1825).

918.

Musa, Salama .Al-Yawm Wa al-Ghad (1928). Voir Ibrahim, Ibrahim A. p. 348-349.

919.

Voir Chedid, Andrée. Les saisons de passage. p.22 ; 44 ; 50 ; 124 ; 89 ; 100... et Memmi, Albert. Agar. p. 66. Dans ces deux textes, la vie en Orient est perçue comme une succession de saynètes et le sujet se tient dans une loge.