c – Eternal Egypt endures.’

[The West] has looked upon the Orient, especially that part of it known as the Near East, as upon a social and political world whose course in history has long ago reached its terminus; a world whose faith, genius, racial and national spirit, and its recuperative powers have only a name that they live, but are dead. (AMR WM 190)’

L'Occident a vu que l'Orient était mort et l'Orient s'est vu mort. D'ailleurs, les Orientaux émigrent, ne voyant aucun avenir sur place (‘What is there in Syria for a man like you? Come, let us go to America…’(AMR FJ 159)). L'Orient dont on a exalté le passé, semble ne plus être apte qu'à répéter celui-ci :

... in the universal scheme of things evolution is not altogether compulsory. Man can if he chooses, stand still, and live somewhat comfortably by simply repeating the past. (AMR SC 242)’

Rien n'a été inventé depuis les temps pharaoniques (FMA 334 ; AMR FJ 108) et le mode de vie biblique se perpétue imperturbablement : on se souvient comment The Syrian Christ fait coïncider passé et présent, en montrant moins la continuité que la similitude parfaite (‘The conditions of life in Syria of today are essentially as they were in the time of Christ’.(AMR SC 5 ; 23...)). Gregory M. Wortabet met également en équivalence ces deux périodes de l'histoire (GMW vol. 1 XVI). Cette répétition sans différence est sclérosante et rigidifiante. (‘Jesus spoke in simple, fluid, living parables. Those parables have become hardened into material objects [...] and into rigid creeds...(AMR FJ 337)). L'Orient en se répétant n'est plus qu'une pâle reproduction de lui-même (‘...only the shadows of the past, as it may serve to illustrate Biblical customs...’(GMW vol. 1 73)) : un théâtre d'ombres, un théâtre de momies.

Cette répétition du passé dissimule un conservatisme exacerbé :

To the Oriental life is neither an evolution nor an achievement, but an inheritance.(AMR SC 242 ; AMR WM 21)’

Le passé, parce qu'il est lié à une tradition religieuse, devient intouchable. Enfermés dans des certitudes, craignant de commettre un sacrilège (AR PV 140), les Orientaux se murent dans des pratiques immuables (‘the Oriental mind is saturated with tradition’(AR PV 162)). Le point de vue occidental des chrétiens occidentalisés leur fait croire que les musulmans, à l'abri de cette attraction moderniste, sont encore plus rétrogrades et attardés que les chrétiens (EA ATS 31-32).

The Mohammedan Arab, as a type, [...] is somewhat antiquated and his loyalty to the letter of his religion militates against his true progress. [...] He is wrong in thinking that all of what was thought good and serviceable in the remote past may be safely applied in its totality to the present. (AMR WM 244)’

L'enseignement d'al Azhar est considéré comme obscurantiste : ‘thousands of Mohammedan students [...] come [...] to be grounded in the Mohammedan faith, rather than to get too much scientific learning’ (GH 46).Si le refus du progrès repose sur une peur de l'inconnu, le refus de voir évoluer la société dépend d'une somme de non-dits, prétendument fondés sur la religion, mais qui sont en fait une perversion de ces préceptes religieux interprétés de la façon la plus littérale, donc la plus contraignante. La société est une scène où se succèdent des rituels réglés que rien ne peut modifier (‘the frigidity of a tradition-bound mind’ (FMA 107)). Gregory M. Wortabet entrant dans le village de sa famille reçoit des visites de courtoisie qu'il doit rendre dans un ordre préétabli, en accomplissant un certain nombre de gestes convenus : boivent le café uniquement les visiteurs et non les hôtes, par exemple. La société orientale dans son ensemble est immobile. Le signifiant static est récurrent (AMR FJ 112 ; FMA 100) et la métaphore de l'embouteillage au Caire (IH OOE 12), annoncé comme signe de progrès, ne fait que renforcer, par redondance, l'idée d'immobilité et nie toute idée de progrès en Orient.

Ce conservatisme est une sorte d'enfermement. Si Salama Musa peut soutenir que la théorie de l'évolution et d'autres progrès scientifiques sont une libération, c'est que le refus de toute évolution, de tout progrès, de tout changement, est une forme d'emprisonnement 932 . Pour les plus éduqués ou les plus curieux, cette mort de la société peut n'être qu'un sommeil passager (‘a phase of [...] somnolence’ (EA ATS 29)) :

As I walked out [...] of our home, the imperturbable landscape of slumbering valleys and dormant mountains stretched before my eyes... (FMA 253)’

Ce sommeil, cette léthargie, seraient dus à l'obscurité temporaire qui règne sur l'Orient. Les métaphores de cette obscurité, de cette absence d'ouverture à l'Autre, sont illustrées par le manque de phares pour éclairer l'accès aux ports (GMW vol. 1 27), par la lumière déficiente pour éclairer les maisons (AMR FJ 17-18) ou les rues la nuit. Le Soudan de l'enfance d'Edward Atiyah est particulièrement marqué par cette obscurité :

Our new home was a low gloomy building [...]. The rooms were lit by candles from which a feeble trembling light emanated that left the ceiling and upper part of the walls in semi-darkness; shadows too lurked in the corners. I was filled with a sense of gloom.(EA ATS 15)’

Pour lui, le Soudan était encore plus attardé que les autres pays qu'il avait connus, et l'obscurité y était plus grande. L'obscurité la plus épaisse se trouve du côté de la religion pervertie par ceux qui la figent et lui font perdre la vitalité de son esprit. (‘benighted bigotry’(AMR FJ 142)). Cependant, comme il s'agit de nuit, le jour viendra et on assistera à un réveil du Vieux Monde (‘Old country’(SR 170)), grâce à la lecture cyclique de l'histoire (AMR WM; AR PV). Mais la lumière, comme on l'a déjà noté, vient de l'Occident. Le vieil Orient, à force de se voir tel que l'Occident veut qu'il se voie, n'a plus l'énergie suffisante pour secouer ce poids de négativité. A force de se couler dans des moules étrangers, l'Orient ne parvient plus à imaginer qu'il pourrait s'imaginer autrement, c'est-à-dire à se créer sa propre image en prenant appui sur son propre système de références. 933

Notes
932.

Voir Musa, Salama. Tarbiyat Salama Musa. 41-42, cité in Ibrahim, Ibrahim A. p. 347.

933.

Voir von Grunebaum, G.E. L'identité culturelle de l'Islam. p.137.