a - Arabe.

L'arabe on l'a dit est une langue qui compte double. Entre l'arabe classique et l'arabe dialectal, les différences sont marquées. Le second est considéré comme la langue de la vie (‘living language, in which [a child] thinks and talks and hears other people talk’(EA ATS 33)) alors que la langue classique est une langue morte (‘dead to a child's heart’(EA ATS 33)). Cette langue classique, langue de culture et langue unificatrice (EA ATS 3) est trop liée à la religion 955 pour être neutre. Entre Coran et Bible, elle laisse peu d'espace au sujet.

... victime(s) de l'énorme réussite de l'Islam, où les sujets sont submergés, écrasés par la pleine saturation de leur mémoire collective, devenue langue sacrée et maternante, où seul peut être dit par l'un ce qui peut être clamé par tous, ou chanté et incanté par tout le collectif. 956

La quasi-totalité des auteurs qui nous concernent ne sont pas musulmans, mais le poids culturel de l'Islam est bien présent autour d'eux.

La Bible n'a pas été écrite en arabe comme le fut le Coran, mais c'est dans cette langue que les auteurs chrétiens la découvrent, et dans le contexte exarcerbé de luttes d'influence que se mènent les religieux, il n'est pas improbable que le caractère sacré de la langue soit transféré d'un livre sacré à l'autre. Que Rihbany mal prononcé aux Etats-Unis devienne Rehoboam (AMR FJ 258) malgré le ton humoristique donné à l'anecdote, va dans le sens d'Abraham Mitrie Rihbany qui veut que l'arabe soit langue biblique. On remarque qu'un certain nombre d'arguments sont d'origines bibliques, le sujet se rangeant derrière le texte biblique qui fait loi. L'adjectif formal (SR 9) qui désigne la langue classique la place du côté du signifiant. Elle est souvent considérée aussi comme overstuffed (SR 9), ce qui donne cette impression de trop-plein qui chasse le sujet.

Mais c'est une autre image de l'arabe qui domine. Abraham Mitrie Rihbany insiste sur son aspect imagé:

The Oriental's speech is always « illustrated » . He speaks as it were in pictures.(AMR SC 115 et 117-118...)’

Langue de métaphores, langue de poésie, langue de paraboles (AMR SC 140) 957 elle est la langue des histoires merveilleuses que racontent les grands-mères (celle de Salom Rizk en particulier (SR 2)) ou les pères (celui d'Edward Atiyah (EA ATS 35))  958 , langue de l'enfance, de l'imaginaire. Si l'on suit Abraham Mitrie Rihbany on serait même tenté de dire qu'elle renvoie à un stade pré-langagier tellement elle est corporelle, physique, gestuelle :

... with him the spoken language goes hand in hand with the more ancient gesture language. [...] He points to almost everything he mentions in his speech, and would portray every feeling and emotion by means of some bodily movement. No sooner does he mention his eye than his index finger points to it or even touches that organ...(AMR SC 115-116)’

Langue maternelle, donnée avec le corps de la mère 959 d'un côté, et de l'autre, langue de Loi (mais la religion comme refuge, comme cocon protecteur est-elle réellement du côté de la Loi?) : ce sont les deux axes principaux des résurgences de la langue première dans la langue d'adoption.

Notes
955.

C'est un des reproches que lui fait Salama Musa, outre le fait qu'il s'agit d'une langue de domination qui nie les particularismes locaux et régionaux (voir Ibrahim, Ibrahim A. ‘Salama Musa.’ 353-354.)

956.

Sibony, Daniel. Entre Deux. p. 75.

957.

Tahar Ben Jelloun parle des arabes à peu près dans les mêmes termes : « Un peuple qui aime les métaphores, les phrases fleuries, les expressions alternant le voilé et le cru, l'ellipse et la précision, le mystère et la découverte, allant de la fabulation la plus folle à la recréation des faits selon l'humeur du moment, reproduisant l'histoire au gré du vent qui passe ou du ciel qui s'obscurcit. » Ben Jelloun, Tahar. «Les racines.»Magazine littéraire. 375 (Avril 1999) : 98.

958.

Ben Jelloun, Tahar .»Les racines». p. 98.

959.

Sibony, Daniel. Entre Deux. p. 39.