e - » Self-creation, perpetual re-creation » .

En m'écrivant [...] je suis l'histoire qui m'arrive. 1020

Cet acte d'écriture accomplit ce qu'il raconte. Comme Salom Rizk nos auteurs ne sont que l'histoire qui se dit : ‘I have a story. The story tells itself(SR 285). En fait le sujet se crée en s'écrivant et n'est qu'un monceau de papier 1021 qu'il livre à la lecture. Privé d'unité et d'ancrage par les tribulations de sa vie divisée, il ne lui reste que l'unité du lieu de l'écrit, le livre, point d'encrage où il s'élabore comme édifice rhétorique :

I continue to construct this « autobiography » , block by fictive block, like a pyramid raised by treacherous slaves. (IH OOE 48)

Il apparaît clairement ici que l'autobiographie n'est pas une reproduction, mais une construction. Cet édifice repose sur un des mensonges (fictive block) ou du moins des approximations : en effet, le processus de passage du vécu dans une langue au récit dans l'autre langue est une trahison (treacherous) - traduttore traditore. Ainsi de mensonge en approximation, l'édifice qui se construit s'éloigne de la réalité du sujet, d'autant plus que l'autobiographe construit un édifice qui plaira à son lecteur (‘the more miserable I made my story, the more they enjoyed it’. (SR 303)). En fait, il est esclave, esclave de son lecteur, traître à sa vérité de sujet.

Mais quelle est cette vérité du sujet? Roland Barthes la place du côté du nom :

Je me passe de l'imitation (de la description) et je me confie à la nommination. Ne sais-je pas que, DANS LE CHAMP DU SUJET, IL N'Y A PAS DE REFERENT ? Le fait (biographique, textuel) s'abolit dans le signifiant, parce qu'il coïncide immédiatement avec lui. 1022

Or, nous avons constaté comment le nom pour ces auteurs est un signifiant flottant, du fait du passage d'une langue à l'autre et que cette coïncidence avec le nom est problématique. Dès lors que ce point n'est pas stable, tout l'édifice est instable (‘my shaky edifice’(IH OOE 48)). Si le nom est le référent autour duquel s'organise le texte autobiographique, celui-ci sera régi par une force centripète. Or, si le nom est dans l'incapacité d'assurer ce rôle d'aimant, le texte tournera autour du pivot central sans l'approcher :‘My center nowhere, my circumference everywhere’(IH OOE 84), ce qui rejoint la formule de Roland Barthes :

Ecrire par fragments : les fragments sont alors des pierres sur le pourtour du cercle : je m'étale en rond : tout mon petit univers en miettes; au centre, quoi? 1023

L'autobiographie construit un mur pour cacher ce vide central tout en donnant l'illusion que ce vide est habité par un nom, le nom dans la nouvelle langue avec lequel le sujet prétend coïncider. Le recours à cette fiction serait un appel au secours 1024 du sujet effrayé par ce vide (FT D 155). Condamné à demeurer, à errer, à la limite, ‘on the edge of the desert. On the fringe of the world’(FT D 155), dans l'entre-deux, le sujet ne peut que demeurer sur cet espace périphérique de l'écriture. Si son nom est mis entre parenthèses (FT D 150), il est condamné à être la parenthèse. De même que les auteurs font vivre ou revivre ce qui n'est pas (SR) ou ce qui n'est plus (FT, ID), de même l'autobiographe crée de toutes pièces un personnage qui n'existe pas :

Loin d'être un inventaire de quelque chose qui existerait, l'autobiographie est une invention de ce qui n'est pas. 1025

L'édifice rhétorique protège le sujet aussi bien du vide intérieur autour duquel il se construit que du réel, à l'extérieur, hors texte :

Out of Egypt , into middles, passages, falling into true time. (IH OOE 113)

La vraie sortie, le vrai départ ne se fait que hors texte. L'autobiographie serait un passage (initiatique?) qui conduit le corps hors du corpus.

Le corps en morceaux d'Osiris semble sortir de là recomposé, mais ôtées les bandelettes, qu'y a-t-il, sinon la découverte de la supercherie d'Isis : un morceau du vrai corps d'Osiris et tout le reste en cire; supercherie qui masque que le corps osiréen est à jamais mutilé : le phallus a disparu. Osiris n'existe que serré dans ses bandelettes comme l'autobiographe n'existe que serré dans ses pages : avant le texte il n'y a rien, après le texte, le réel : entre les deux, cette re-production du même texte qui repousse le moment pour le sujet d'affronter son absence.

Notes
1020.

Barthes, Roland. Roland Barthes par Roland Barthes .p. 61-62.

1021.

«L'homme est devenu un monceau de papier, et un corps glorieux, par transfusion de sens et de substance.». Lecarme, Jacques. L'autobiographie. p. 77.

1022.

Barthes, Roland. Roland Barthes par Roland Barthes. p. 61-62.

1023.

Barthes, Roland. Roland Barthes par Roland Barthes. p. 96.

1024.

Voir Navarre, Yves. La vie dans l'âme. p. 242.

1025.

Lejeune, Philippe. Je est un autre .p. 175.