2 - Futur.

Si l'autobiographie est introspective et rétrospective, elle est aussi prospective. La construction du récit autobiographique est, pour la plupart des auteurs, totalement tournée vers l'avenir : un nouveau bilan qui s'ajoute à ceux qui sont inscrits dans le texte pour permettre au sujet d'aller de l'avant. Idéologiquement, la valeur de témoignage ou d'exemple du récit autobiographique est tournée vers l'avenir.

Dans le récit lui-même, du fait du choix de la linéarité chronologique, l'autobiographe donne une illusion de dynamique prospective, en faisant comme s'il ignorait ce qui suit dans le récit. Cependant, on a déjà signalé que des marques d'énonciation dénoncent cette illusion.

Si l'on considère l'autobiographie comme construction, élaboration d'un sujet, il faut lui reconnaître une dynamique prospective. On a dit que le sujet ne se construisait pas en une seule fois; ainsi la ligne d'avenir est une ligne brisée, une reproduction des façades décrépies de la Grande Pyramide où apparaissent les degrés de l'élévation des pierres et non plus la surface lisse finie : mais c'est la mise à nu de cette surface en escalier qui donne prise au sujet et lui permet d'en faire l'ascension : ‘The Great Pyramid [...] offered no promise except that I might some day clamber up its jagged edge and so claim an end to my puberty 1060 (IH OOE 2). Il semble que ce soit la démarche rétrospective de l'autobiographie qui permette de mettre à jour le fonctionnement de la dynamique prospective.

On a dit que nos auteurs étaient à la croisée de plusieurs langues et cultures. Dans cet inventaire de leur vie qu'est l'autobiographie, ils se trouvent à la croisée des chemins au présent de l'écriture: leur positionnement dans le présent avec leur savoir acquis, par l'écriture, sur leur passé, leur permet de recenser leurs possibilités d'avenir.

Dans le cours du récit, la première étape vers l'avenir, c'est le départ d'Orient, pays du passé, dépassé comme l'idéologie adoptée leur dicte de le voir. L'Occident, symbole d'ouverture, d'avenir (‘the future beyond the horizon [was] a glorious vista’ (EA ATS 75)) les fait entrer dans une autre dimension temporelle qui ne serait plus faite de répétition sempiternelle. L'avenir est alors vu comme différence, comme rupture. L'Occident est considéré comme dynamisme, c'est-à-dire qu'il représente un constant mouvement vers l'avant : un des signes de cette avancée, est la propension à la multiplication, à l'agrandissement, au grossissement : on se souvient de la superlativisation, des énumérations accumulatives qui font enfler tout ce qui est occidental. On a constaté également l'accélération avec l'impression d'avancée, de progression qui en découle. Par opposition à un passé refermé sur lui-même, vécu comme enfermement, emprisonnement du sujet, le futur est imaginé comme liberté, mouvement, espace, ouverture. On a dit que l'arrivée en Occident s’accompagnait souvent d'un sentiment de rétrécissement. Ce dernier disparaît relativement rapidement lorsque le sujet prend sa destinée en main, par un acte de volonté (will substantif de la volonté et auxiliaire de temps et de modalité indiquant le futur). On se souvient du ‘Will-yam’(WPB WMJ 17) de William Peter Blatty : affirmation d'un sujet qui, de sa position présente I am s'articule sur le futur will. Le sujet n'est jamais fini, il est en devenir permanent. Fawaz Turki l'illustre bien avec son épilogue rajouté, comme tous les autres auteurs dont les conclusions sont ouvertes vers des perspectives d'avenir, plutôt politiques et idéologiques qu'individuelles : ainsi en va-t-il des perspectives diplomatiques d'Edward Atiyah. Gregory M. Wortabet, lui, explore le Liban avec des perspectives d'avenir touristiques : ‘ time is not far distant when Lebanon will be the fashionable watering-place between India and England. [...] Such is my private opinion of the destiny of Lebanon. Time will show how far it is correct’.(GMW vol. 1 136) : on notera au passage que la situation entre Inde et Angleterre a des résonances stratégiques. George Haddad, de façon moins élaborée, livre un inventaire économico-touristique du Liban à son lecteur américain qui en tirera les leçons.

En fait, le futur est du côté du lecteur. L'ouverture du texte est dirigée vers un lecteur assez défini pour prendre en compte et en charge l'avenir du texte. L'autobiographe, en mettant un point à son texte, se fige dans ce point, s'ancre dans ce port, qui est une porte pour le lecteur.

Le futur a, pour ces auteurs, un statut ambigu : ils sont présents dans le futur qu'ils ont imaginé dans le passé.

Notes
1060.

Voir Ghitany, Gamal. Pyramides. (1994). (trad.) Arles : Sindbad/Actes Sud, 2000.