L'exilé volontaire subit une perturbation de sa position dans le temps, de façon moins aiguë que l'exilé forcé, mais tout aussi déstabilisante. Les temps se télescopent et se chevauchent pour Salom Rizk de la même façon que pour Fawaz Turki : ‘You remembered only the living nightmare of present misery and dread’ (SR 43). La confusion règne aussi chez Ihab Hassan dans sa relation à l'Occident : ‘the past America makes becomes elsewhere in the world an optative future. That is, America, alembic of time, distills the future in the present...’(IH OOE 45-46).Ces autobiographies fonctionnent toutes comme des alambics du temps qui distillent un nouveau temps, le temps du sujet :
‘ Two streams of time flow through my mind : one of recollections that find their source in an Egyptian childhood, the other an abstract, laconic gloss on my life in America. The two streams now surge through our months in Munich, months of work, music, sensuous pleasures, of LIVED time moving in still another stream. All three, in confluence, enter this book, a fourth stream still or perhaps a shoaly river, itself made of many currents. (IH OOE 38) ’A l'intérieur de l'autobiographie, une sorte d'alchimie permet de défaire l'impasse du temps 1064 afin qu'il retrouve un cours normal où le sujet pourra surgir dans un temps où s'articulent les trois temps passé, présent, futur. ‘I began to feel intelligently the impact of the past and to have visions of the more significant future’ (AMR FJ 141).Le sujet accède à un point du temps où son savoir à propos de son passé lui permet d'envisager son avenir en fonction de ce passé - que son choix soit celui de la continuité ou de la rupture (‘the challenge of my past to my future’(EA ATS 161)). Entrer dans le temps ne consiste pas à constater ce qui a été et ce qui est, potentiellement (‘I [...] learned of our beautiful heritage and marvelous resources’ (SR 309)), il faut articuler ce double savoir (‘my individual life began to acquire both retrospect and prospect.’(AMR FJ 141)) afin que le sujet puisse advenir dans une dimension temporelle à la fois individuelle et collective. Cette entrée dans ce temps inaugure une perspective de durée et non plus une inscription dans une immédiateté toujours remise en cause (‘I tried to read the gospel of my destiny in the light of the years, and not the days and months, and to look upon the present difficulties as merely transient’. (AMR FJ 234)) qui remet sans cesse le sujet en cause.
A l'inverse de l'exilé forcé qui ne vit que pour remettre son passé au futur, l'exilé volontaire a tendance à rejeter son passé - même si on l'a vu, le passé refait surface, fantôme toujours présent dans le discours. Or, l'avenir a besoin du passé pour se mettre au présent 1065 et le sujet doit réhabiliter son passé, lui donner un véritable statut, pour avoir accès à son avenir (‘My individual life began to acquire both retrospect and prospect’(AMR FJ 140-141)). Faire concorder les temps est tâche ardue et douloureuse. Le sujet demeure la plupart du temps dans ce no man's time qu'est le présent.
‘ Le sujet doit sa constante émergence au fait qu'il est toujours DEJA LA avec le moi, du côté de l'origine, et qu'il est ENCORE LA après lui du côté de la fin. Il était là, dans le passé dépassé, il sera là, dans le futur à venir. Entre les deux, dans l'instant présent de la souffrance qui le détache de son instance représentative, il est encore en suspens dans le vide. Ce suspens du « maintenant » éprouve l'homme. 1066 ’Sibony, Daniel. Entre-deux. p. 301.
Sibony, Daniel. Entre-deux. p. 124.
Vasse, Denis. Le poids du réel, la souffrance. (Paris: Le Seuil, 1983). p. 14.