IV - ESPACE

Les écrivains arabes d'expression anglaise évoluent entre deux langues, entre deux cultures, entre deux temps et aussi, entre deux espaces. C'est sans doute leur déplacement le plus directement visible . Du Proche- Orient, ils partent vers l'Europe ou les Etats-Unis : d'un lieu à un autre lieu, ils franchissent des seuils, parcourent des espaces, au risque de se perdre, au risque de voir se déformer l'espace de leur corps qui est loin d'être aussi stable et inaccessible au changement qu'ils pourraient l'espérer. Souvent suspendus entre deux lieux, forcés au grand écart, ils se raccrochent à l'espace textuel (l'espage?), lieu unificateur, rassembleur, où ils dressent une cartographie de leur moi.

L'espace (les espaces) qu'ils occupent est délimité par divers facteurs, anthropologiques, politico-religieux, sociaux et la lecture qu'ils font de ces espaces est subordonnée à leur idéologie : le même lieu pourra être considéré différemment selon le point de vue d'où il sera envisagé - on se souvient de la carte du monde considérée par Edward Attiyah et Penelope Lively - de même qu'il pourra être subverti si sa place ou sa définition dans la succession vient à être modifiée.

Il est difficile d'oublier que si le Proche-Orient est bordé par la Méditerranée, objet de tant de convoitises culturelles et stratégiques, il est aussi délimité par le désert, lieu de mirages, illusions d'optique, de perspective. Mer et désert se rencontrent, se recouvrent se mêlent et brouillent la limite : les marées (même si leur amplitude est réduite en Méditerranée), constant va-et-vient, ne laissent pas une frontière distincte, précise. L'eau efface les traces laissées sur le sable qui inlassablement se reconstitue des sédiments apportés de plus loin en amont. Nos sujets, au bord de la mer, en partance vers ailleurs, inscrivent sur le sable la trace de leur passage, cherchant inlassablement à savoir qui, de l'eau ou du sable, dessine le bord. Ihab Hassan cite une formule en forme d'oxymoron de Paul Zweig : ‘«pure» space, the horizontal abyss’ puis ajoute ‘I have always returned. The desert waits.’(IH OOE 41) : l'espace, rencontre de la verticalité et de l'horizontalité (AMR FJ 202-203 ; EA ATS 22), du corps et de la page blanche, du paradigme et du syntagme, l'espace qui se résume non pas à un point mais à une ligne sans fin (‘an endless line’ (AMR SC 259)), occupation à la fois minimale (line) et maximale (endless) de l'espace : le sujet est une fois encore au centre d'un paradoxe qu'il lui faut résoudre pour trouver une place, sa place, entre les bords de la carte qui/que constituent son corps et son histoire : il lui faut donc trouver un lieu où se situer, où être, pour avoir lieu.