A - LIEUX.

Né au Proche-Orient où il vit une partie de sa vie avant de partir s'installer en Occident, le sujet séjourne, passe dans de nombreux lieux avant de les quitter. Il se situe souvent entre ici et là, le lieu du vécu et le lieu du désir, entre le lieu de son présent et le lieu de son passé, partout et peut-être nulle part. L'espace qu'il occupe devient un champ de tensions qui s'expriment le plus souvent par une tendance à opposer les lieux en termes binaires. Ainsi, l'Orient sera-t-il opposé à l'Occident rêvé. Mais l'Orient sera lui-même subdivisé en Orient rural et Orient urbain, l'Orient rural sera à son tour l'objet d'une division entre ruralité réelle et ruralité idéalisée (pastorale, éternelle). La cité sera tour à tour arabe ou nouvelle. Ces divisions sont le signe de divisions structurelles qui traversent la société proche-orientale : la tradition nomade est confrontée à la sédentarisation, toutes deux affrontées à un système colonial. L'Occident opposé à l'Orient est un Occident de rêve qui renvoie un reflet différent d'une réalité faite de clivages entre les Occidentaux d'origine et les immigrés... Ces oppositions binaires correspondent à la division du sujet ; leurs pôles correspondent aux deux bords du sujet, deux bords qui ne sont pas clairement définis, ce qui a pour conséquence de nombreux renversements, de nombreux déplacements : ces oppositions binaires sont instables et révèlent la confusion du sujet, son absence de repères fixes :

It is not a station in the real meaning of the word : it is just a place under a big tree by which the bus passes. (ID 150)

Si jamais, aux confins du désert, l'arbre est un mirage, comment se retrouve-t-on sur la bonne route? D'autre part, il s'agit là d'un code commun à un certain nombre d'individus. Comment un individu extérieur au groupe peut-il avoir accès à ce code? C'est cette possession de la clé qui autorisera des changements de perspective radicaux. Selon le lieu d'où il parle, le sujet pourra lire et interpréter l'espace de façons totalement opposées.

L'Orient est le lieu d'origine, le point de départ. Une lecture rapide donne l'Orient comme un espace chaotique, étroit, alors que l'Occident, l'ailleurs rêvé, est doté de toutes les qualités, ordre, structure. On s'apercevra que la division n'est pas aussi nette et qu'elle correspond à une lecture idéologique. Si l'Orient apparaît désordonné, déstructuré, obscur, c'est que la plupart des auteurs n’ont qu’une connaissance très partielle du monde arabe, bien qu'ils y soient nés. Naître n'implique pas connaître. Leila Said redécouvrira le Vieux Caire grâce à un Occidental amoureux de la vieille ville (LS 43-44). Leur connaissance de l'Orient est aussi partiale, dans la mesure où leur formation est plutôt occidentale et qu'elle leur donne les clés de décryptage de l'Occident mais pas de l'Orient. On a dit que ces clés sont fausses parce qu'elles sont marquées par l’idéologie et ne visent nullement à l'objectivité. D'autre part, on a suggéré que le sujet n'accédait à ce statut de sujet que lors de son passage en Occident : ainsi, il n'aurait de l'Orient qu'une vision déstructurée qui correspond à un non-sujet. La structuration n'advenant que lors de son séjour en Occident, seul l'Occident serait vu de manière structurée. Cependant, cette binarité est sans cesse déplacée et la carte dressée par ces auteurs n'a pas de contours précis.