1 - Orient contre Occident.

a - Le chaos oriental.

L'opposition Orient/Occcident est a priori une opposition classique entre ici et là-bas : l'ici et maintenant des frustrations, des manques, du mal-être face au là-bas rêvé, ailleurs mal connu mais suffisamment attirant pour qu'il soit représenté comme le contraire d'ici, l'image inversée de l'ici. L'Occident serait le mirage favori de l'Orient, l'oasis désirée par le voyageur oriental perdu dans son désert. L'Orient est présenté comme un désert si l'on se souvient de tous les qualificatifs négatifs qui lui sont appliqués. Cependant, à l'exception d'Isaak Diqs, peu d'auteurs se sont aventurés dans le désert ou à proximité de celui-ci. On peut difficilement parler de désert au pied des Pyramides et du Sphinx même si l'enfant Ihab Hassan n'avait pas encore été témoin de l'extension galopante de la ville jusqu'à ces monuments. En fait, le désert n'est pas perçu dans sa dimension physique, spatiale. Les lieux qu'occupent nos auteurs sont des lieux pleins, c'est-à-dire occupés par des constructions ou de la végétation. Il semble que cette occupation de l'espace soit anarchique :

There were no streets [in El-Shweir]. Syrian towns never were built according to preconceived plans. Each man built on his own piece of land, regardless of general convenience and symmetry. One or two main roads ran winding through the town, and crooked stony footpaths, running from all directions, connected with those roads. In the rainy season the roads became streams of water, mud and slush, and pedestrians picked their way as best they could. (AMR FJ 33-34)

Le souci de géométrie qui organise chaque maison individuellementdisparaît dans la profusion de ces maisons construites au hasard des caprices :

The houses, mostly ugly square boxes, with a pyramidal roof of red tiles and on invariable façade of three glass windows in the shape of a triple arch of ugly curves and proportions, crowded upon each other facing in different directions, and producing a mass effect of confused and purposeless angles. (EA ATS 130-131)

De la tension entre la géométrie en architecture et de son absence en urbanisme (‘without any idea of order or symmetry’(GMW vol. 1 15)) naît un sentiment d'égarement (‘…a tangle of streets running in every direction, I was lost as soon as I entered’(SR 83)).Pour se retrouver, le sujet doit chercher ailleurs ses repères. Isaak Diqs se dirige dans les villes comme dans le désert grâce aux points cardinaux :

I knew that I had to go west, pass through the forest, turn north and cross the road on my way to the hospital. (ID 94 ; 64)

Il lui faut chercher dans une autre dimension de quoi recréer une structure. L'horizontalité suroccupée est brouillée et ne parvient à faire sens que vue d'en haut (‘There were no hills to stand on and see the wide country’(ID 64)).L'axe vertical semble être une meilleure garantie de sens. Edward Atiyah lors de ses déplacements à la montagne insiste sur ce lien entre ascension et meilleure compréhension du paysage naturel et construit, et de ses occupants (EA ATS 22-23). Les occupants du plan horizontal sont victimes d'un problème de coordination physique :

People were rushing to and fro, bumping into me - or may be I was bumping into them. [...]. Men balancing precariously on two wheels and pumping their legs up and down for dear life, and then gliding down the street like statues[...]; and altogether such a mixture and jumble of swift-moving impressions that it was impossible to make order or sense out of them. (SR 84-85)

Les mouvements désordonnés déstabilisent l'environnement qui donne l'impression de lui-même se déplacer et s'agiter, déstabilisant l'observateur au point de lui faire perdre sa notion d'individualité (people were... bumping into me - or may be I was bumping into them), comme une répétition de la disparition de la géométrie de l'architecture dans la confusion urbanistique.

Autre facteur de confusion, la saleté prévaut dans ces villes :

Rubbish heaps often lay exposed on the road, outside a house or a shop, with flies swarming over them, and you often passed a corner that was used as a public urinal and advertised its function in foul odours and ugly flowing stains on the walls. (EA ATS 131)

La décomposition estompe les contours, la pourriture transforme les éléments en un magma indéchiffrable et conduit à la même perte des limites individuelles :

The « dung-hill » existed by every house. The people knew nothing about germs, and the germs apparently knew nothing about the people. (AMR FJ 34)

On note ici la même structure syntaxique en chiasme que celle qu'utilise Salom Rizk pour décrire sa confusion dans la foule (SR 84); elle a le même effet : la saleté extérieure contamine les individus, avec qui elle se confond (‘Bureaucracy [...] has become miasmic’(IH OOE 13)). Cette occupation rampante cause un engorgement des villes qui les étouffe (LS 139 ; IH OOE 12) et qui étouffe leurs occupants. L'incident cardiaque du père de Laila Saidest présenté de telle sorte qu'embouteillages urbains et manque d'oxygène dans un appareil sont mis dans un rapport d'équivalence :

No one stops at the traffic-lights anymore. The other day, I almost had a little heart attack, and when I tried the oxygen flasks for my breathing, they were full of air instead of oxygen! [...] And the streets are so crowded [...]. There is no space to park anymore. (LS 139)

Le désordre déstabilise et immobilise le sujet qui se prend à rêver d'espaces structurés 1071 .

Notes
1071.

En d’autres termes, de territoires.