b - L'ordre occidental.

L'Occident apparaît comme l'antithèse de l'Orient. L'ordre y règne. Les villes n'ont pas le côté labyrinthique des villes orientales ni cet aspect d'entassement qui brouille la perception subjective et objective du sujet. La ville occidentale est organisée selon des axes géométriques précis :

New York is three cities on top of one another. The one city is in the air - in the elevated railway trains, which roar overhead like thunder, and in the amazingly lofty buildings, the windows of whose upper stories look to one on the ground only a little bigger than human eyes. [...] The second city is on the ground where huge armies of men and women live and move and work. The third is underground, where I find stores, dwellings, machine shops, and railroad trains. The inside of the earth here is alive with human beings; I hope they will go upward when they die. (AMR FJ 202-203)

On lit bien l'organisation ordonnée : sur l'axe vertical, on ne trouve que de la verticalité (elevated, overhead, lofty, upper). Le sous-sol est plus confus, ce qui semble normal, étant donné qu'il n'a pas de définition géométrique précise; néanmoins, il est rattaché à la verticalité (upward), ce qui le ramène du côté de l'horizontalité, par effet de syllogisme.

Oxford est également perçue comme une cité à ordonnancement géométrique : ses axes verticaux et horizontaux sont rappelés comme un leit-motiv par Edward Atiyah : ‘Towers and steeples [...] cool waters and green hills’(EA ATS 80 ; 83.…).Dans la mesure où la géométrie est clairement établie, les repères sont faciles à établir et à codifier. Ainsi, les rues (inexistantes en Orient) sont ici répertoriées : ‘I here explained to them how the houses are numbered and the streets named; [...] and consequently, how easy it was [...] to find the house’(GMW vol. 1 222-223).Dans un espace aussi clairement organisé, l'individu est lui-même ordonné :

The amazingly wide sidewalks were solid streams of humanity. [...] How limpid and how quiet that human mass appeared! [...] Almost complete silence prevailed, and the stupendous concourse of men and women moved as swiftly and gracefully as a perfectly adjusted and well-oiled machine. (AMR FJ 199-200)

Un auteur plus poétique aurait sans doute vu là un ballet. Abraham Mitrie Rihbany y retrouve la structure économique des Etats-Unis, redoutablement efficace dans sa précision. Le ballet humain est parfaitement réglé dans cet espace structuré : les mouvements de foule n'ont rien de l'anarchie ressentie à Beyrouth par Salom Rizk. Le sujet est en harmonie, en adéquation, avec son environnement, ce qui entraîne la crainte du sujet oriental : ‘I was afraid to do anything, even to walk freely, for fear of jarring the harmony of the surroundings’ (AMR FJ 200), crainte qui laisse supposer que cet ordre n'est qu'apparence, mirage, et que le moindre grain de sable peut le remettre en cause.

De cet ordre, naît la répétition, la reproduction à l'infini du même modèle :

I was rapturously amazed to find every small city and town to be New York on a smaller scale... (AMR FJ 277)

Ce qui est jouissance au début peut se transformer en horreur, quand la similitude rend inopérants les repères (on se souvient de Salom Rizk perdu dans les abattoirs). Tout étant similaire et équivalent à tout (‘One place is as good as the next when everywhere is the same.’(SR 159)), il n'y a plus de points fixes d'identification pour le sujet. La structuration trop parfaite réduit le sujet au silence et à une mécanique répétitive (‘almost complete silence prevailed [...] men and women moved [...] as a [...] machine.’ (AMR FJ 200)).