d - L'Occident ouvert.

Quitter le lieu de l'emprisonnement (IH OOE 108) c'est aller vers l'Autre qui est censé représenter la différence radicale. Si l'Orient est clôture, l'Occident est ouverture: ‘What then , had I really hoped to discover in America! [...] Scope, an openness of time [...]. I also looked for some private space wherein to change, grow, for I had not liked what I foresaw of my life in Eternal Egypt(IH OOE 107). Tout y est grand, immense (‘vast’ (AMR FJ 183 ; 199),‘wide’ (AMR FJ 199...)), ouvert ; on se souvient du voyage en train de Salom Rizk à son arrivée aux Etats-Unis où l'espace n'en finissait pas de s'ouvrir devant lui (‘it seemed we must be going around the world’ (SR 119)) : sa description accumulative des paysages traversés (SR 120-122) a pour effet d'élargir et d’étendre l'espace; de même la répétition de everywhere et des post-positions out et on, souvent couplées et/ou doublées ajoute à ce phénomène d'ouverture. Si l'espace oriental est enfermé, tourné sur lui-même, l'espace occidental est ouverture vers l'extérieur :

I first liked Rutland because of its railroad connections going in four directions, to Boston, and Montreal, and by two roads to New York. (GH 121)

A cet effet, on remarquera que les illustrations photographiques des ouvrages de George Haddad et Abraham Mitrie Rihbany montrent plusieurs gares (GH 21-7 ; AMR FJ 274) ou des ports (GH 21-55). En outre, la plupart des bâtiments occidentaux sont présentés de l'extérieur (AMR FJ 218 ; 310 ; 318 ; 344 ; GH 74 ; 124) alors que les vues d'Orient sont en majorité des vues d'intérieurs (GH 110 ; AMR FJ 122 ; EA ATS 170 ; 174 ; 176 ou FM de toute évidence...). Les moyens de transport occidentaux restituent une dimension spatiale au terrain parcouru (‘The distance to New York is 237 miles...’(GH 121)) alors que l'Orient le mesurait temporellement (‘the family [...] came to Lebanon from Basra, «a four days' ride»’(GH 6). George Haddad éprouve de la difficulté à passer d'un système à l'autre mais cela montre comment la facilité des transports ouvre l'espace :

I told him about two hundred and forty miles, quite a distance in some countries but not in the United States, as it is only six hours' ride by train. (GH 7)

Ainsi Salom Rizk peut-il sillonner tous les Etats-Unis (SR 308-309):

...from ocean to ocean and border to border I have seen America, big, broad, breathless. I have felt [...] the thrill of its vastness... (SR 309)

L'ouverture sur l'autre se trouve aussi dans la configuration des appartements des Occidentaux - même lorsqu'ils se trouvent en Orient. L'appartement de Jean-Pierre Péroncel-Hugoz au Caire est ouvert sur le Nil, ce qui contraste avec les prisons ou cages que Leila Said présente par ailleurs. ‘We were sitting [...] in his spacious apartment overlooking the Garden City corniche, that avenue that acompanies the Nile on its course through the city’(LS 165) : on remarque comment l'ouverture de la fenêtre est prolongée par le cours de la corniche et au-delà par le Nil lui-même. Si d'aventure ces appartements ne sont pas aussi ouverts sur l'extérieur, ils ont un volume suffisant pour ne pas être confinés comme celui de la féministe parisienne du seizième arrondissement :‘a maid [...] led me through various hight-ceilinged tapestried and wood-panneled rooms to a study. [...] I cast my eyes over the rows and rows of [...] volumes in the long mahogany bookshelves’(LS 220) : la hauteur, la longueur, et le nombre de pièces et de rayons suggèrent l'ampleur de l'espace. L'appartement new-yorkais de Gloria Steinem est présenté comme un sanctuaire (‘a shrine’ (LS 211)) mais à l'inverse des tombaux orientaux, il est ouvert : ‘the smell of a place where people come and go but do not stay long’(LS 211).

L'espace occidental est un espace de mobilité. Cet espace ouvert invite au mouvement, alors que l'espace oriental est vécu comme une entrave au mouvement. Espace de mobilité, il est la métaphore de la mobilité sociale opposée à la rigidité des clans, sectes... orientaux qui sont également une reproduction, au niveau social, des espaces concentriques qui se referment sur le sujet. Espace de liberté, il est métaphore de la démocratie à laquelle aspirent les Orientaux soumis à diverses formes de censures et d'autorité arbitraire. Espace d'ouverture, il représente l'espoir d'une ouverture pour ceux qui aspirent au changement. (‘[Cairo airport] had been modernized and reorganised. This was one of the many signs of the open-door policy.’(LS 138)).

Cette ouverture, cependant, comme l'excès de structure, de structuration, peut se révéler déstabilisante pour un sujet habitué aux contraintes d'un champ clos. Si trop d'enfermement étouffe le sujet, une trop grande ouverture peut le faire se diluer dans cet espace. ‘New York [...] overshadowed my soul like a vast mystery’(AMR FJ 199). L'absence de repères, c'est-à-dire l'absence de limites , perturbe la perception et le sens de l’orientation et des directions du sujet : ‘a great mass of vagueness swimming and spinning in my eyes, [...] too dazzling for me to see in part or understand as a whole.’(SR 119) : dans un espace en mouvement, le sujet est contraint de devenir son propre repère alors qu'il est rapetissé par cet espace illimité (‘This America was too big for me.’(SR 136)) et qu'il disparaît en tant que sujet pour devenir partie intégrante de ce mouvement : ‘I was put on a train and rushed to the Middle West’(SR 119): la voix passive réduit le sujet à un état proche de celui où il était au point de départ au Moyen- Orient (Middle East). Cet espace indéfini, vague (vagueness), le contraint à divaguer, au sens propre comme au figuré, tel Salom Rizk dans les abattoirs ou Fatima Mernissi lorsque, sur la terrasse interdite, elle a accès au ciel entier et non plus à un petit morceau de ciel encadré (FM 153-154). Le rêve d'un monde sans frontière (‘Imprisoned behind walls, women walked around dreaming of frontierless horizons’(FM 189)), peut tourner au cauchemar et le harem, l'espace clos, devenir un lieu de sécurité :‘harems were wonderful things, [...] so that [women] did not have to go into dangerous, unsafe streets’(FM 48).L'espace ouvert peut devenir un piège mortel. Salom Rizk s'échappe des abattoirs à son corps défendant (au sens littéral).