d - Vieilles villes.

Volontiers comparée et opposée à celle des villes occidentales, l’organisation de l'espace urbain est présentée la plupart du temps comme chaotique. D'un côté comme de l'autre, il y a une caricature qui force le trait dans un sens ou dans l'autre. La comparaison accentue, en outre, certaines caractéristiques. Cependant, si l'on accepte l'idée que les espaces individuels qu'on a décrits sont structurés, il faut admettre que l'ensemble auxquels ils appartiennent est également structuré puisqu'il y a un effet d'écho, de miroir, entre eux. Ainsi les vieilles villes traditionnelles, enceintes, relèvent-elles de cette stratégie concentrique et cloisonnée. Encore faut-il la percevoir et, pour ce faire, accepter de se départir d'une idée négative préconçue. On a dit qu'un certain nombre de ces auteurs portent des oeillères idéologiques et il leur faut un guide pour voir leurs propres villes sinon plus objectivement, du moins plus positivement. Ainsi Paul, l'amoureux du Caire (LS 43), fait-il prendre conscience à Laila Said de la structure cachée de la vieille ville. Si l'on juxtapose la visite d'Ihab Hassan et celle de Paul et Laila, on comprend la distance qui sépare deux appréciations d'un même espace :

I saw the quotidian city, crowded, sordid, insistent, color-crazed, throbbing with a sensuous energy that left my senses dazed. [...] I walked through the bazaars, brimming with strident vendors and garish wares, fearful of some contamination I could not quite name... (IH OOE 70-71)

Ihab Hassan ne perçoit qu'un espace trop plein (crowded, brimmed) qui ne fait pas sens (crazed, dazed) où tout est discordance (garish, contamination) c'est-à-dire désordre. Paul donne le même quartier à voir à Laila d'une façon totalement différente:

He knew the names and locations of the tiniest alleys [...]. The heaving donkeys with their heavy loads, the traffic noises, the shrill cries of the street vendors, all dissolved as together we stood admiring a gleaming mother-of-pearl arch... (LS 43)

On voit rapidement ici réapparaître la structure (arch) au détriment du désordre. La différence tient à une connaissance (he knew the names) ou à une ignorance (I could not quite name) du lieu : nommer confère une structure à un espace informe. Si l'on compare de la même manière leur évaluation des mosquées de ce quartier, on observe le même écart. Pour Ihab Hassan, la mosquée n'est qu'un espace sans définition précise : ‘The mosques I visited appeared nearly empty, so vast their masonry and quiet their space, creating a larger inner space’(IH OOE 71). Le signifiant space récurrent ajoute à cette indétermination qu'Ihab Hassan oppose, injustement, à ‘confusions of the bazaar’(IH OOE 71), confusion qui relève de la même absence de précision. Paul et Laila définissent l'espace de la mosquée en le nommant :

We would stop to admire a hidden medieval mosque or a sixth-century wall, with its arabesque ornaments [...]. In the ancient part of Cairo , medieval Islam still lived in arched ornamental doorways decorated with stalactites, open courtyards with fountains in the center, and covered arcades all around. (LS 43)

Il ne s'agit plus ici d'espace, mais d'éléments architecturaux répertoriés, nommés qui donnent une forme à cet espace qu'ils délimitent en lui donnant des axes (stalactites, around...).

L'espace urbain traditionnel demeure incompréhensible pour celui qui ne cherche pas en découvrir le code (le mode de fonctionnement) mais se contente des apparences extérieures. La cité n'est fermée que pour celui qui ne cherche pas à y pénétrer. De même que Fatima Mernissi enfant cherche à comprendre les règles du harem, de même celui qui, à l’instar de Paul, tente de comprendre les règles de la ville, trouve une clé, une grille de lecture, pour définir son espace et l'apprivoiser. Alors l'apparent labyrinthe de ruelles (FM 23) fera sens comme l'entrelacs calligraphique qui ne se donne pas à lire immédiatement et deviendra géo-graphie, c'est-à-dire écriture, c'est-à-dire structure.