e - Villes nouvelles.

Dans la plupart des villes, des quartiers nouveaux s’étendent hors de la ville traditionnelle ; leur organisation spatiale est totalement différente, si bien qu'on peut pratiquement parler de deux villes distinctes comme Fatima Mernissi : ‘[a frontier] separated our old city, the Medina, from the new French city, la Ville Nouvelle’ (FM 22). Dans sa distinction, elle fait ressortir la différence majeure entre les deux villes : l'une est autochtone, l'autre est étrangère, ou du moins d'inspiration, d'ordre colonial(e). Il est donc normal qu'à cette ville nouvelle soient attribuées les caractéristiques des villes occidentales. De la nouvelle Fès, Fatima Mernissi évoque des rues larges, droites et éclairées (FM 23) ; Gregory M. Wortabet parle de la même façon de certains quartiers de Damas (GMW vol. 1 178). Les nouveaux quartiers à l'occidentale occupent l'espace de manière plus lâche et plus ouverte sur l'extérieur. On a mentionné quelques appartements qui donnent une image assez exacte des quartiers où ils se situent. Lorsque Salom Rizk arrive à Beyrouth pour la première fois (SR 84-85), il est frappé par la taille des bâtiments et des tramways (big, long, tall), l'ouverture de l'espace qui se traduit par de nombreuses fenêtres sur l'extérieur (‘many-windowed’) et l'absence de voile pour les femmes (‘unveiled women, their robes were cut off at the knee’) et qui laisse une place à la nature (‘a lovely garden of flowers, green grass, and big trees’). Il semble qu'à une stratégie d'enfermement corresponde ici une stratégie d'ouverture. Mais, à y regarder de plus près, l'ouverture est très relative. Si les bâtiments montent haut, c'est pour mieux cacher le soleil (‘tall buildings that shaded the streets from the sun’) et le beau jardin est situé au centre de la ville (‘in the center of the city, a [...] garden...’). L'espace est aussi resserré parce qu'il est aussi peuplé que dans les vieilles villes (SR 84-85). En fait, la ville nouvelle est une île (métaphorique ou réelle comme Zamalek (LS 34)) coupée du reste de la ville, condamnée à la fermeture. Fatima Mernissi nomme la ville nouvelle de Fès ‘The French Harem (FM 21) parce qu'elle est séparée par un mur invisible aussi infranchissable que les murs remparts des cités traditionnelles. Ville nouvelle certes, mais habitée par les vieux clivages auxquels viennent s'en ajouter de nouveaux, fruits de l'impérialisme colonial. Khartoum, extension coloniale de Omdurman, est totalement cloisonnée :

The fence of which I have spoken was not confined to Gordon College. Before I had been long in Khartoum I realized that it cut right across the town, running more or less parallel with the river and two or three streets away from it. [...] You did not cross from side to side except on rare occasions. [...] Even those who lived on the other side of the barrier [...] were socially organized into communities self-contained and distinctly separate from one another behind invisible frontiers. (EA ATS 139).

Ce découpage (slices (EA ATS 139)) est plus pernicieux parce qu'il n'est pas inscrit dans l'espace réel. Pour être virtuel, ce découpage n'en est pas moins douloureux comme le montre Edward Atiyah ou Laila Said dont l'appartement de Zamalek n'est qu'une autre prison (‘I found myself pacing the dainty, tropical hothouse which had become my new prison. A prison more insidious than my in-laws' home’(LS 41)).

L'espace, même réaménagé, conserve la trace indélébile de la structure d'origine. Comme dirait Ihab Hassan, l'Egypte pérenne perdure et en durant, elle durcit les structures spatiales qui deviennent perverses parce qu'elles deviennent arbitraires en perdant leur sens premier. Ainsi l'espace protecteur devient carcéral, et l'oasis salvatrice devient une tombe pour le sujet égaré. Le symbole de cet Orient-là demeure la Pyramide.