e - Départ définitif.

Ce retour au même est d'autant moins possible que le départ est envisagé comme définitif. Le sujet qui désire partir pour ne jamais revenir prend un certain nombre de dispositions qui lui rendent le retour impossible. La vente des biens, des terres familiales (GH 44) est le signe d'une coupure définitive. Toute terre abandonnée, même si elle est confiée à ses proches, devient stérile :

Over in the prosperous little village of Ain Arab, with its busy water mills and fruitful vineyards, were several abandoned estates [...]. The owners had gone to America and left them in the care of relatives or tenants. They had been poorly tended or left to go back to weeds and thistles. (SR 15)

La terre volée devient également stérile (ID 99). Une fois le lien rompu, la terre nourricière devient un espace hostile, porteur de mort :

I could not see anything speaking of life [...]. I saw the houses - silent, like tombs. [...] There was nothing but some old rags, ropes, pegs, broken pots. (ID 67)

Si partir c'est mourir un peu, c'est également faire mourir la terre natale. Si les exilés forcés se considèrent comme des déshérités (The Disinherited), les exilés volontaires se déshéritent eux-mêmes.

Il est pourtant quelque chose à quoi ils ne peuvent renoncer : c'est la bénédiction parentale. Malgré l'âpreté de la lutte qu'ils doivent mener pour obtenir leur exeat, ils ne partent pas sans maintenir ce lien avec leurs parents. Edward Atiyah qui a dû batailler pour l'obtenir ne peut envisager de partir (ni de se marier, autre départ) sans cette bénédiction maternelle. Il en va de même pour George Haddad qui part contre l'avis de son protecteur (GH 53) mais pas sans celui, gagné de haute lutte, de sa mère (GH 44).

Coupure d'avec la terre, l'espace qu'ils ont toujours considéré comme une prison, mais maintien des liens avec la famille dont ils tirent et tiennent leur nom, élément fondamental et fondateur de leur identité : on retrouve ce double mouvement, cette tension qui fait du sujet un sujet flottant. En effet, partir ne signifie pas nécessairement arriver et trouver un nouveau port d'attache. La plupart du temps, le sujet déraciné, déshérité par son propre fait, se retrouve dans un entre-deux, toujours en train de passer sans parvenir à l'autre rive.