b - « Wings to another culture » .

Speaking a foreign language is like opening a window in a blind wall. Speaking a foreign language is like developing wings that allow you to fly to another culture. (FM 135)

On a parlé de la langue étrangère comme ouverture, clé de perspectives nouvelles. On se souvient aussi comment la maîtrise d'une langue étrangère ouvre ou ferme des portes (Salom Rizk, du fait qu'il baragouine à peine l'anglais, voit les portes des ménagères se refermer devant lui).

La langue étrangère déplace le sujet en ce sens qu'elle le replace dans un contexte linguistique autre, dans un espace textuel autre. Si l'on étudie, par exemple, la conjugaison des verbes arabes et anglais, on remarque la présence d'un pronom personnel désignant le sujet en anglais, alors qu'en arabe le pronom personnel sujet n'est pas indispensable. Dès lors la marque du sujet dans l'espace textuel est affectée par le passage d'une langue à l'autre. Si la marque grammaticale de la personne est considérée comme le centre d'où le sujet parle, il est décentré dès lors que cette marque est déplacée. De  à I go, le statut du sujet est modifié : inclus en arabe dans le verbe, il devient signifiant à part entière, avec une place propre dans la phrase anglaise, ce qui lui confère une dimension spatiale autre. Il se trouve également déplacé par l'ordre différent des mots dans la phrase. Si l'on repense à la carte de visite d'Abraham Mitrie Rihbany, le sens même de la lecture - et c'est sans doute le premier déplacement que subit le sujet puisque la graphie vient avant la grammaire - déloge le sujet de son sens de la perspective. Tous les signes sont inversés et le sujet doit se replacer par rapport à ces nouvelles directions : le corps lui-même en est affecté puisqu'un certain nombre de gestes (mouvement de l'oeil dans la lecture, de la main dans l'écriture) sont inversés. Toute la perception de l'espace est modifiée par ce balancement entre les deux directions. Peut-on, doit-on lire les pages complexes de The Right Promethean Fire de Ihab Hassan (IH RPF 115 ; 122) - où se mêlent les polices de caractère, les signes existants et les signes inventés, les colonnes tronquées, la présentation plutôt verticale ou plutôt horizontale, voire oblique (IH RPF 161) - pas seulement comme une illustration de la destructuration post-moderniste, mais principalement comme une tentative de rendre compte de cette confusion des sens?

D'autre part, de la langue maternelle à la seconde langue adoptée, on note aussi un déplacement du sujet, comme le léger décalage de la traduction faussement dite simultanée : un espace infime, à peine perceptible qui, cependant, laisse parfois s'interposer un mot, une expression ou toute une phrase de la langue d'origine, qui se trouvent déplacés - parce qu'ils se retrouvent dans un milieu allogène (comme lorsque l'on dit d'une remarque qu'elle est déplacée parce qu'elle rompt l'homogénéité d'une conversation; alors, elle est souvent considérée comme malvenue, voire malséante). Le mot d'origine dérange le lecteur-destinataire parce qu'il perturbe l'équilibre, le rythme de la phrase anglaise. Le sujet de l'écriture vit ce constant déplacement d'une langue à l'autre, un décalage dû en grande partie à l'arbitraire du signe et à l'inadéquation du signifiant et du signifié, et qui est amplifié par la traduction et le passage d'un réseau de connotations à un autre. La langue étrangère crée une distance entre le mot et la chose, distance qui déplace le sujet, lequel est comme suspendu au bord des langues, risquant que le décalage infime ne devienne un abîme où il s'abîmerait de ne pouvoir faire un trop grand écart (il risquerait d'être écartelé) entre les deux rives de ses langues. Parler la langue étrangère, c'est se placer sur une autre scène, de l'autre côté du miroir (puisque le sens d'écriture est inversé).

Parler une langue étrangère, c'est toujours, un peu, faire du théâtre. 1088

Andrée Chedid, à cet effet, dans l'évocation de son enfance en Egypte a de nombreuses métaphores théâtrales qui montrent le sujet plutôt comme spectateur que comme acteur, lorsqu'il vit dans une autre langue 1089 , c'est-à-dire qu'il est décalé par rapport au centre des activités et donc excentrique.

Notes
1088.

Huston, Nancy. L'empreinte de l'ange. ( Arles : Actes Sud) .p. 230.

1089.

Chedid, Andrée. Les saisons de passage. p. 22 ; 44 ; 50 ; 89 ; 100 ; 124.