d - Porte ouverte sur un nouveau monde.

Les voyageurs plus chanceux, une fois qu'ils ont franchi tous les obstacles, voient s'ouvrir devant eux un espace neuf. On a souligné la récurrence de first chez tous les auteurs dès lors qu'ils commencent leur voyage. Un espace neuf où cette primauté semble le signe de leur statut de sujet enfin acquis. Avec first, on trouve I, le je qui a pu trouver l'espace où s'épanouir, où s'affirmer, contre les diverses communautés (familiales, religieuses, nationales...) mais avec leur assentiment : il n'est pas de sujet s'il n'est reconnu par ceux qui le retenaient, l'enfermaient, lui confisquaient sa place. Dans la traversée, des liens se sont rompus, mais d'autres se sont formés, différents en ce qu'ils sont mutuels. L'accession au statut de sujet va de pair avec un retour à une certaine objectivité : l'objet du désir perd de son aura imaginaire, gagne en réalité. L'espace illimité des possibilités rêvées et l'espace carcéral du monde quitté reprennent des proportions plus équilibrées, plus réalistes. Comme dans Alice au Pays des Merveilles, le sujet finit par trouver sa juste taille entre le monde de l'enfance qui lui était devenu trop étroit et le monde des adultes où tout était encore trop vaste pour lui. On assiste à un déplacement de la perspective qui modifie l'approche. Ce faisant, le sujet nouvellement ajusté s'aperçoit qu'il n'est ajusté ni à l'un ni à l'autre espace ; mais au lieu de se laisser dériver, il accepte cette situation nouvelle, cet espace nouveau non donné, mais à faire. Le sujet demeure dans le passage, dans l'entre-deux. Le voyage, passage dans le non-temps, non-lieu, passage à vide devient son lieu d'être, sa raison d'être. Il fait de ce vide un espace occupable. Il s'avère que forcés ou non, la plupart des auteurs qui nous concernent sont des itinérants. Fawaz Turki, Isaak Diqs, chassés sans cesse de leur nouveau camp, tournent autour de la terre perdue pour ne pas la perdre de vue. Edward Atiyah poursuit son itinérance d'enfant : du Soudan à l'Angleterre, il expérimente un nouveau mode de cohabitation intérieure. Laila Said entre Egypte et Etats-Unis tente aussi de tisser les liens d'un féminisme universel. Ihab Hassan entre Milwaukee et Munich ne parvient pas à faire le deuil de l'Egypte quittée pour n'y jamais retourner. Abraham Mitrie Rihbany et Salom Rizk conquièrent l'Amérique à leur façon, toujours en mouvement, vendant leur histoire comme des tapis. George Haddad fait ses allers et retours, incapable de s'arrêter, de faire le deuil d'un de ses bords. Tous nomades, ils sont toujours en train de passer sans jamais arriver, d’aller et venir sans jamais parvenir ni advenir.