Lorsque Naomi Shihab Nye se rend en Palestine occupée elle vérifie l’adéquation de la terre ancestrale avec ce qu'elle en a écrit à distance. Si elle avait de cette terre perdue une connaissance, c'est peut-être qu'elle (la terre) était écrite sinon dans son corps - elle en a une mémoire olfactive presque génétique (NSN 31) - du moins dans celui de ses proches.
Le tatouage n'est pas rare en Orient. Hommes et femmes ont leur appartenance inscrite sur la peau : Malek Chebel parle de corps [offert] comme parchemin au scribe 1114 . La croix tatouée sur le poignet de George Haddad (44-41) le sauve de la prison espagnole. La grand-mère de Gregory Orphalea exhibe la sienne comme signe de vie (le passage de la mort à la résurrection) :‘She was proud of that marked wrist, and would hold it up to the light, like someone who had survived a suicide attempt’ 1115 . Leur appartenance à la communauté chrétienne les distingue du reste des Orientaux en général en les identifiant à une communauté religieuse connue, ce qui les sauve de ce rejet que vit Salom Rizk et qui s'inscrit dans son corps à mesure qu'il se voit autre dans le regard de l'Autre : ‘Every defeat, every failure, [...] are plainly written on my face. I was just a sullen, unhappy, under dog immigrant, and even proudly posing for a picture couldn't erase that feeling from my photographs’ (SR 132).
Si la signature est la marque du corps sur la page blanche, il est des individus qui ne savent pas écrire, comme la grand-mère de Naomi Shihab Nye, dont l'analphabétisme est souligné (NSN 31-33). A l'inverse de sa petite-fille, elle n'a pas besoin d'écrire son manque de la terre volée, parce que la terre est inscrite en elle, sur son corps : ‘Her face is deeply mapped’(NSN 32). On a pu s'interroger sur l'absence de cartes; à l'exception d'Isaak Diqs, aucune autobiographie ne comporte de cartes géographiques alors que les auteurs se déplacent. Un texte aussi touristique que celui de Gregory M. Wortabet n'aurait pas souffert d'une carte, signalant les itinéraires proposés. Question d'époque dira-t-on. Mais il semble qu'il vaut mieux chercher du côté du corps de l'auteur, véritable cartographie de son histoire. Il n'a pas besoin de carte, parce qu'il EST la carte, et même, il EST la terre :
‘[She is] wearing a long white dress embroidered with green over black-and-white pajamas. [...] Across the valley, a new Jewish settlement sits like white building blocks stacked up on the green hills.(NSN 32-33)[ Il faut ajouter que la grand-mère passe beaucoup de temps assise (sit (NSN 31)].’La répétition de signifiants marque l'identité entre la Palestinienne chassée de sa terre et cette terre occupée par d'autres. La terre est un texte, une partition (‘the land is a music of terraced hills’ (NSN 32)) partiellement détruite (‘when my aunt notices a broken branch, [...] she tries to tie it up again with a stalk of wheat’ (NSN 38)). C'est afin de ne pas perdre la trace de cette amputation que la terre et le corps sont scarifiés. D'ailleurs la grand-mère de Naomi Shihab Nye à une question sur la peur de vivre en territoire occupé :‘Does she feel scared’(NSN 33) répond à une autre question sous-jacente : does she feel scarred, en désignant des chats introduits par l'ennemi :‘She waves at the ugly cats lurking in every corner of the courtyard. Most have terrible fur and bitten-off ears. She throws a loquat pit at a cat with one eye’ (NSN 33).Ces chats blessés (scarred) ont remplacé les fantômes familiers (l'esprit protecteur des disparus) qui ont fui, effrayés (‘the ghosts were scared’(NSN 34)). Ces chats ennemis portent dans leur corps la trace de la spoliation commise par leurs maîtres : ne lit-on pas dans le signifiant Gaza strip ce dépouillement?
Le tatouage est souffrance (s’he poked in me and the blood poured out like water from a spring. Later the skin came off five times and I was left with this’ (NSN 33)) mais il est échange (‘[she] offered to tatoo someone in exchange for food’ (NSN 33)), accueil de l'Autre, geste vers l'Autre (‘staring at my grandmother [...] this is the food of which I will feed’(NSN 32)).Ce corps tatoué est un palimpseste qui articule le manque originel fondateur du sujet et sa rencontre avec l'Autre, accueil et don.
Ex-Libris d'appartenance 1116 , le tatouage fait du corps un corpus, où se donnent à lire les différentes couches du sujet, morcelées, par les déplacements et les arrachements idéologiques, perdues dans les guerres et les errances.
Faut-il trouver étrange que Thot, dieu de l'écriture et patron des scribes, soit aussi un guérisseur (IH OOE 112) (il rendit à Horus son oeil et à Seth, le frère félon d'Osiris, ses testicules - mais, et cela a son importance, il ne peut aider à restituer un Osiris entier)?
Le corps qui n'aurait pu être que décor, image, devient texte, corpus, lieu de la parole.
Chebel, Malek. Le corps en Islam. p. 177.
Orphalea, Gregory .»There's a Wire Brush atMy Bones. « in Hooglund, Eric J. ed. Arabic-speaking Immigrants to the United States before 1940. Crossing the Waters . p. 173.
Chebel, Malek. Le corps en Islam. p.177.