1 - The Thin Line .

The Thin Line n'a, au premier abord, rien d'arabe : il s'agit d'une histoire d'adultère et de meurtre qui se déroule à Londres et dans sa proche banlieue. Peter Mason tue, sans préméditation, Serena, la femme de son ami et voisin, Walter Stewart, avec laquelle il entretenait une relation amoureuse perverse. La police ne découvre pas le coupable. Cependant, Peter assailli par la culpabilité finit par avouer le meurtre à Margaret, son épouse, puis à Walter. Margaret tente de le dissuader de se livrer à la police mais devant sa détermination, elle prétexte sa dépression et ses insomnies chroniques pour augmenter la dose de médicaments et le réduire au silence. Ce premier roman policier est situé dans un milieu très anglais, avec ses commuters , ses scènes de pubs dont les conversations sont rendues avec réalisme (expressions, phonétique et grammaire malmenées) (EA TL 24 ; 80 ; 91...), jusqu'à cette comparaison,  ‘His confidence shook like jelly’  (EA TL 61), quelque peu impertinente mais tellement anglaise. Cependant, le Proche-Orient est discrètement présent. Peter a vécu au Caire (EA TL 187), l'avion qui le ramène à Londres après sa confession à Margaret est en provenance du Caire (EA TL 137); quant à l'épineux problème de l'argent volé par son collègue, il est d'abord lié à un voyage de Peter au Proche-Orient :

Mr Hughes is worried about one or two amounts that seem to have been paid out earlier in the year but for which there is nothing to account. He thought it might have been in connection with your trip to the Middle East. (EA TL 59)

Il faut que le sujet rende des comptes sur sa relation avec le Proche-Orient. Dès lors, la division du sujet causée par le meurtre qu'il a commis, sa double vie de père-mari-ami fidèle et de meurtrier caché, apparaît comme une mise en scène de la division du sujet bilingue, bi-culturel, qui vit entre deux mondes. Peter Mason se sent dans une situation d'exil (que souligne la récurrence des termes remote, separated ), exil par rapport aux autres, innocents, et par rapport à lui-même. Peter, hanté par sa culpabilité, ressasse et raconte son histoire : ce besoin de confession n'est pas sans rappeler la problématique de l’autobiographie et la question de la représentation du sujet, du lien entre vérité et énonciation.

The Thin Line est un récit linéaire dans lequel sont inclus des jeux d'échos, de mise en abyme, soulignés par la récurrence de repetition, parallel, similarity. Peter joue avec Andrew son fils cadet à retarder le don d'un cadeau promis, comme il retarde l'aveu. Andrew, comme Peter, est victime de colères meurtrières. Peter défend David Crawley son collègue coupable de détournements de fonds, avec des arguments comparables à ceux que Margaret utilise pour minimiser son acte, lui trouver des circonstances atténuantes. Le chat euthanasié au début du récit par Margaret annonce l'endormissement de Peter. Cette multiplication a un effet kaléidoscopique et donne du personnage central une image instable quelque peu entropique  (‘And they had split the atom, and with a split atom they had split a hundred thousand bodies in Hiroshima and Nagasaki, reduced them to atoms again. Only atoms coming together, then parting. (EA TL 12 ; 7-8)).

Ce roman policier psychologique s’inscrit en fait avec pertinence dans le cadre de la réflexion sur l'identité de l'écrivain arabe d'expression anglaise. Ce choix littéraire dénote en effet chez son auteur la culpabilité liée à sa double identité et sans doute celle qui consiste à masquer celle-ci en optant pour un genre si anglais. De plus, placer le meurtre de Serena sous le signe d'Othello (la référence est répétitive) semble indiquer que le sujet ne serait pas maître de son acte ni de son destin, qu'une force supérieure serait à l'origine de sa situation : serait-ce un renvoi de la faute sur l'Empire colonial?

The Thin Line met également en scène des figures de femme : une mère gardienne de la tradition, une épouse enfermée dans un rôle familial et une femme libérée, adultère. L'épouse évolue sous la pression des événements et prend en main son destin et celui de sa famille, affirmant ainsi son statut individuel. The Thin Line, la séparation fragile qui fait basculer un univers non problématique (‘...a calm and peaceful English hill, with rounded, grassy slopes and straightforward paths that never led to anything unpredictable’(EA TL 20)) vers la confusion de la division (‘a stern mountain with rocky precipices’  (EA TL 20)).