5 - The Eagles Flies From England.

Avec The Eagles Flies From England (1960), Edward Atiyah aborde un genre différent que l'on pourrait qualifier d'histoire fiction. Ce récit, fondé sur la fascination que Napoléon exerce sur les Anglais, est un divertissement historique astucieux dans lequel Napoléon naît anglais au lieu de naître français, hypothèse pas tout à fait irréaliste si l'on se souvient des liens entre l'Angleterre et la Corse et l'accueil que les Anglais réservèrent au général en chef Pasquale Paoli 1160 . Une plaque commémorative dans l'abbaye de Westminster rappelle toujours ce séjour et ces liens privilégiés. Edward Atiyah avoue avoir puisé l'idée de son roman dans une brève allusion au hasard qui fit naître Napoléon dans l'île méridionale plutôt que dans l'île septentrionale, allusion trouvée dans sa jeunesse dans le livre de l'historien John Holland Rose (EA EFE 5)

La double structure du roman ouvre des possibilités d'interprétation diverses. Un premier mouvement cyclique enchâsse les niveaux de narration : de part et d'autre, une introduction (signée Edward Atiyah) décrit la naissance du roman et un post-scriptum (signé Clio) relate, en moins d'une demi-page, la véritable histoire de Napoléon; puis on trouve, enchâssés entre ces clôtures du roman, un prologue et un épilogue où se répète une scène qui se déroule à Sainte Hélène : dans la première, Napoléon déclare à ses proches qu'il aurait dû naître en Angleterre, et dans la scène symétrique, qu’il aurait dû voir le jour en Corse; le récit proprement dit de ce Napoléon anglais est emboîté entre ces deux hypothèses, récit lui-même cyclique puisqu'il commence et s'achève par une défaite (Ponte Novu et Waterloo) et avec la présence du même Wellesley. Cependant la construction cyclique de ce récit central se greffe sur une structure linéaire en trois parties qui pourrait s'intituler The Rise and Fall of Napoleon : les années de formation avec l'accession de Napoléon à la tête de l'armée royale qui met fin à la Révolution française, la conquête de l'Inde avec le couronnement de Napoléon empereur puis après la reconquête de Constantinople, la désastreuse campagne de Russie et la défaite de Waterloo.

Le Napoléon anglais réalise donc le rêve du Napoléon français : la conquête de l'Inde - la campagne d'Egypte n'était qu'une étape sur la route des Indes. Or c'est précisément cet épisode de l'épopée réelle qui fait le lien avec l'épopée contemporaine et la crise de Suez encore présente dans les esprits des lecteurs d'Edward Atiyah, crise de Suez qui dévoile l'avidité occidentale pour cette bande de terre – ou plutôt d’eau - d'importance stratégique. Si la référence aux années 1950 est évidente, avec un Napoléon/Nasser unissant les peuples orientaux contre l'attaquant occidental (le Napoléon d'Edward Atiyah se révolte contre la couronne britannique et unit les peuples du continent sud-asiatique jusqu'à la Turquie contre ceux qui s’opposent à sa marche ambitieuse), on note un brouillage qui fait se superposer des périodes allant de la Première Guerre mondiale à la fin des années 1950 : la chute de l'Empire ottoman , le partage du Proche-Orient par la France, l'Angleterre et la Russie (dont l'intrusion en Méditerranée est perçue comme une menace), la question des Balkans. Est présente de façon répétée dans le texte, une carte, écho de cette carte qui a servi à l'instruction d'Edward Atiyah et de Penelope Lively et qui affirme la suprématie britannique sur le monde 1161 . La revendication de Napoléon par les Anglais s'inscrit dans la lutte entre la France et l'Angleterre pour le contrôle d'un certain nombre de voies commerciales (dont le canal de Suez). Cette approche classique du colonialisme occidental est assortie d'une dimension nouvelle. Ce Napoléon représente la deuxième génération d'une famille d'émigrés réfugiés. A travers lui se profile une réflexion sur les liens avec la patrie d'origine, déjà problématique pour les membres de la première génération. A cela s'ajoute la question d'une société multiraciale : quel bénéfice la métropole impériale peut-elle tirer de l'arrivée des populations en provenance de ses (ex-)colonies? Il s'agit pour la métropole de reconnaître l'altérité comme enrichissement, c'est-à-dire de changer son regard sur le colonisé. Edward Atiyah lance un débat qui demeure toujours d'actualité.

The Eagle Flies From England, s'il a un fondement historique, propose une lecture prospective de l'histoire et non passéiste, ni passive.

On remarque cependant encore l'ambivalence d’ Edward Atiyah. En mettant en scène un Napoléon à la fois colonisé (qui demeure aux yeux de certains le Corse, le petit Corse) et colonisateur, deux faces contradictoires mais complémentaires d'une même médaille, il renvoie le lecteur à la division du sujet, à sa difficulté à se situer par rapport à ses divergences. Napoléon, malgré sa désobéissance, ne peut être condamné à la fin par les Anglais parce qu'il a pris pour modèle Alexandre et Hannibal, dont il occulte l’appartenance au monde oriental.

Notes
1160.

Voir Wain, John ed. The Journals of James Boswell. 1762-1795. (1991) London: Mandarin, 1993. Et Napoléon, Charles. Bonaparte et Paoli. Aux origins de la question corse. Paris, Ajaccio: Perrin/La Marge, 2000.

1161.

voir Pt 2