6 - Donkey from the Mountains .

Donkey from the Mountains (1961) offre une synthèse des deux genres de prédilection d'Edward Atiyah : l'action de ce roman policier psychologique se déroule au Liban. Comme dans The Thin Line et The Crime of Julian Masters, le crime est commis au début et c'est le processus de découverte (ou de non-découverte) de l'assassin qui est décrit.

Faris Deeb, avare notoire, mari et père tyrannique, se rend de son village de Barkita à Tripoli pour acheter un terrain. Tenté par l'agent immobilier, il se rend dans un cabaret par désir d'une danseuse égyptienne. Frustré par les promesses non tenues de la danseuse, furieux d'avoir été berné, de retour au village en pleine nuit, il assassine une jeune touriste américaine en train de prendre un bain de minuit près de son verger, parce qu’elle se refuse à lui. Il fait disparaître le corps en l'enterrant sous un muret de pierres sèches. Une série de mensonges découverts fortuitement par les membres de sa famille le désignent comme assassin. Sa femme Rosa rassemble les faits et finit par l'accuser en privé au moment où il découvre qu'elle le trompe avec Yussef, le garagiste. Il tente de l'étrangler, mais elle est sauvée par leur fils aîné. Elle lui extorque tous ses biens et le force à s'exiler en Afrique occidentale, monnayant ainsi son silence. Au moment de s'exécuter, il retrouve la danseuse et, revivant l'humiliation, il décide de se venger sur sa femme de toutes les femmes : il brûle tout l'argent qu'il devait remettre à son épouse (d'où le titre américain du roman, The Cruel Fire) et se noie dans l'étang même où il a tué la jeune Américaine. Le récit initial rapporte les faits et leur enchaînement qui conduisent au meurtre. Dans la suite du roman, ces faits sont reconstitués par les autres personnages qui détiennent chacun une partie de la vérité éclatée; d'autres histoires, possibles, plausibles, sont fabriquées à partir de la subjectivité de chaque personnage et de sa situation par rapport à Faris Deeb et aux autres. A nouveau, le lecteur est confronté à une réflexion sur l'interprétation des faits, présentés avec ou sans manipulation consciente.

Le récit avance par renversements successifs : les événements sont tour à tour positifs et négatifs, les personnages, volontairement ou non, alliés ou ennemis : tout dépend de la lecture des faits à un moment donné. C'est donc un fonctionnement ironique qui mène le texte à son dénouement dramatique où tout le monde perd, tout le monde est dupé. L'ironie se manifeste également dans de nombreuses phrases à double sens.

La plupart des scènes se jouent en huis-clos, image intérieure du sujet en proie à des tensions contradictoires. Mais le huis-clos est toujours violé par un voyeur et cette fuite qui scelle le drame permet au sujet d'avancer.

Un des clivages les plus évidents du texte oppose le citadin au villageois : la ville attire le villageois, suscitant des désirs qu'elle ne pourra pas satisfaire parce que l'imaginaire du villageois lui prête des qualités qu'elle n'a pas. D'autre part, les codes sont différents dans les deux espaces et le villageois qui utilise ses repères habituels ne peut que rencontrer déception et tromperie. En ceci, il se trouve dans la situation de l'exilé à l'étranger, face à une autre langue, une autre culture, un autre système de références.

Le personnage principal n'est pas Faris Deeb, victime des circonstances mais son épouse Rosa agissant pour se défendre et défendre sa famille de la tyrannie de Faris. Combattant pour sa dignité de femme, elle utilise le seul bien qu'elle possède, son corps : en le refusant à son époux et en l'offrant à son amant, elle affirme son indépendance. Entre Faris et elle, l'enjeu est le pouvoir. Elle l'acquiert également en manipulant leurs enfants en leur découvrant progressivement la culpabilité de leur père. Dès qu'elle détient le pouvoir sur tout son monde, elle se montre incapable d'en faire usage puisqu'elle se refuse à dénoncer publiquement Faris, car elle reste prisonnière d'une société traditionnelle où son acte de rébellion contre son mari compromettrait l'avenir de ses enfants en entachant la réputation de la famille. La femme, comme le colonisé ailleurs, entretient avec l'homme une relation ambiguë de fascination-répulsion. S'il existe une solidarité féminine (la fille Geneviève rejoint son petit ami avec la complicité de sa mère et de sa cousine), elle ne peut s'exercer que dans la clandestinité. Les deux autres femmes sont étrangères, l'une Américaine, l'autre Egyptienne et toutes deux sont femmes publiques : la première actrice, l'autre danseuse. Cependant l'interdit qui frappe le corps féminin demeure et Faris ne peut posséder ni l'une ni l'autre. On pourrait donc penser que la femme triomphe mais il n'en est rien puisqu'en fin de compte, Faris a le dernier mot en tuant et en se tuant. Il garde l'initiative, frustrant la femme de sa victoire par un dernier renversement où corps et argent sont mis en équivalence : au corps refusé il répond par l'argent brûlé, renvoyant la femme à son statut d'objet.

Donkey from the Mountains perpétue l'ambiguïté des autres romans. La femme s'exprime dans les mots d'un narrateur masculin comme le colonisé dans ceux d'un narrateur acculturé.