N - SAÏD K. ABURISH.

Un autre Palestinien, Saïd K. Aburish, particulièrement prolixe, est l'auteur de nombreux livres sur les dessous des affaires au Proche-Orient, d'une autobiographie et d'un roman , One Day I Will Tell You (1990). Ce dernier tire beaucoup d'éléments de l'expérience de son auteur : Daoud, le personnage principal, comme Saïd K. Aburish est né en Palestine, a fait ses études aux Etats-Unis, vit à Londres après avoir travaillé à Beyrouth pour une radio (Daoud à Radio Freedom, Saïd K. Aburish à Radio Free Europe). Chacun a un père influent dans la presse libanaise. Tous deux sont conseillers en affaires pour le Proche-Orient. La ressemblance est telle qu'une mise en garde est nécessaire au seuil du livre:

This book is a work of fiction. With the exception of certain public figures, any resemblance to persons living or dead is coincidental. (SKA OD 2)

Le rapport entre One Day I Will Tell You et The St George Hotel Bar publié un an plus tôt est flagrant. Le second (‘a book about espionage, journalistic and business activities which took place at the St George Hotel Bar in Beirut over a period of twenty years, activities which shaped - and which continue to influence - the contemporary Middle East’ 1187 ) sert de base au premier, un roman d'espionnage, avec à l’arrière-plan, la guerre entre l’Iran et l’Irak, (qu’on appelait à l'époque guerre du Golfe), écrit au moment où couvait la guerre du Golfe (deuxième du nom). La référence fournie par The St George Hotel Bar donne non seulement une vraisemblance, une plausibilité, au roman, mais légitimise sa valeur de mise en garde contre une lecture trop hâtive, trop naïve, des relations arabo-occidentales contemporaines.

Daoud el Mousa, Palestinien et citoyen américain résidant à Londres, est entraîné à son insu dans les affaires de la CIA. Engagé à la sortie de l'Université à Radio Freedom, envoyé à Beyrouth, il met inconsciemment le doigt dans un engrenage dont il ne pourra s'extirper. Radio Freedom fait partie du dispositif de lutte et de propagande dans la guerre froide entre les Etats-Unis et l'Union soviétique durant les années 1970. Daoud est très vite impliqué dans des manipulations qui ne sont plus un jeu : le sang coule. Il est pris entre ses diverses affiliations et son besoin d'appartenance. Au moment de la guerre entre l'Iran et l'Irak, il devient l'intermédiaire entre les Etats-Unis et l'Irak. Après plusieurs rencontres chaleureuses avec Saddam Hussein qui témoignent du succès de ses négociations, le complot anti-iranien est éventé. Plusieurs mois après, on le retrouve en mission du côté iranien. Il est assassiné par son propre frère, membre du FPLP. Sa relation avec Maggie se poursuit parallèlement à cette intrigue, tout en étant intimement liée à ses interrogations; Anglaise d'excellente famille, elle tente de lui faire rompre ses liens avec la CIA et finit par le quitter, au moment de son échec dans l'affaire irakienne.

Le contexte politique de l'écriture et de la publication du livre n'est pas indifférent. De la première à la deuxième guerre du Golfe, il existe de nombreuses similitudes, parmi lesquelles les manipulations des grandes puissances qui créent un monde à leur image, monde qu'elles peuvent dominer en toute liberté. Sont évoquées ici les manipulations tous azimuts de la CIA, complexes, contradictoires, les alliances avec ou entre divers pays selon les occasions. Le roman n'épargne aucun des participants à ce vaste jeu en sous-main dont l'enjeu demeure l'argent.

L'intérêt du roman repose sur le choix de l'espion comme personnage principal, agent double qui appartient à deux mondes (ou n'appartient à aucun). Il offre une représentation nouvelle du sujet divisé en quête d'identité. Dans le texte, Daoud se cherche, cherche un ancrage, une manière de s'articuler avec les autres et aussi une reconnaissance. Ce désir de reconnaissance le pousse à devenir une espèce de héros, ce que Maggie, de souche anglaise établie, lui reproche parce qu'elle est déconcertée par son flottement. Agent double, intermédiaire, il est manipulé par les uns et les autres, déchiré par eux, et pour rassembler les morceaux de son moi et lui trouver une cohérence, un sens, il se dit, s'écrit. Entreprise difficile, comme en témoignent les différents temps du texte, va-et-vient entre le temps de l'écriture et celui du récit avec ses retours en arrière sur l'origine de l'engagement et sur l'affaire irakienne : le manque d'ancrage identitaire se répercute sur l'ancrage temporel.

Confessions à la première personne, lettres à Anna, illustrent la problématique de la représentation qui est au centre du texte : l'image de soi que l'on donne à voir au niveau individuel mais plus largement au niveau politique, autre forme de manipulation.

Cette confession est assortie d'une recommandation finale pour publication, ce qui fait s'interroger le lecteur sur sa validité en tant que confession individuelle ou bien en tant que témoignage politique (s'agit-il d'une nouvelle manipulation?)

Cette mise en scène du mal-être de l'écrivain d'expression anglaise apporte une originalité dans le traitement de ce sujet, central à toutes les oeuvres présentées. Si Edward Atiyah se voyait comme un trait d'union, Saïd K. Aburish introduit la notion de prostitution et de trahison, ce qui relance le débat.

Notes
1187.

Aburish, Said K. The St George Hotel Bar. p.1.