O - SONIA RAMI.

Antiquity Street (1992) est interdit en Egypte et son auteur doit user d'un pseudonyme. Ce livre scandaleux, récit à la première personne, relate l'aventure amoureuse de la narratrice, issue de l'aristocratie égyptienne, avec le garde- malade de son père impotent. Alex, d'origine grecque, homosexuel, prostitué, proxénète, peut-être même travesti, se laisse entraîner dans une relation amoureuse par la narratrice, éduquée et émigrée aux Etats-Unis. L'écart social entre les deux amants, les préjugés familiaux (qui finissent par céder, mais pas de scandale!,recommande-t-on) rendent impossible leur relation. L'identité trouble d'Alex ajoute à la difficulté. Il s'avère qu'il est musulman, qu’il a été abandonné puis recueilli par une famille grecque (le mari est peut-être son vrai père d'ailleurs). Alex et le père de la narratrice meurent à la fin du texte abandonnant celle-ci à sa nostalgie.

Pourquoi ce roman fait-il scandale? Il présente une femme libre, divorcée, qui prend l'initiative de l'aventure sexuelle. Elle est le sujet actif qui détient le pouvoir dans ce couple disparate. La narratrice ose décrire l'homme, le corps de l'homme avec des détails sordides, voire oBSCènes. Lorsque l'homme décrit le corps féminin, il n'y a pas scandale. Ce roman franchit une limite pour entrer dans un espace jusqu'alors inexploré : le corps de l'homme est un territoire défendu, sauf si l’homme choisit de le dévoiler lui-même. Le scandale réside également dans le dévoilement d'une société où les vices s'exercent en toute impunité (l'oncle pacha paye la narratrice enfant pour pouvoir assouvir ses instincts pédophiles et incestueux). On trouve dans ce roman un catalogue illustré de toutes les déviances sexuelles. Il montre aussi une société en plein pourrissement, où l'écart entre la vieille aristocratie et les classes populaires est immense. Zamalek, l'île forteresse, s'oppose à Antiquity Street dans Boulaq où vit Alex. Même si les effets des réformes de Nasser et de Sadate ne sont pas vraiment ressentis par l'aristocratie de l'ancien régime qui a préservé ses privilèges, ces rais n'en sont pas moins considérés comme des abominations. Quartiers riches et quartiers pauvres sont contrastés et l'odeur omniprésente de ces derniers impose la réalité de la maladie du corps humain et du corps social.

Au clivage social correspond un clivage racial, hérité des dominations ottomane et occidentale. L'idée de la supériorité de la race blanche est déclinée à plusieurs niveaux : blancheur et beauté, blancheur et pouvoir. Alex - Alexandrie : un lien évident s'établit entre le personnage et sa ville.

Mais paradoxalement, le seul personnage nommé du texte, Alex, a une identité insaisissable, dont le mystère ne se révèle qu'après sa mort. Ceci nous ramène à la problématique de l'identité du sujet divisé qui se cache, comme Alex, sous une langue et une nationalité d'emprunt. Ce sujet doit-il mourir pour découvrir sa véritable appartenance?

Si le roman apparaît comme celui d’une révolte contre l'enfermement de la femme et celui d'une société menacée de disparaître et qui se replie sur elle-même, sa fin laisse planer un doute : il semble y avoir une certaine nostalgie pour cette classe et son univers clos, voire un désir chez la femme de retrouver le droit chemin à condition que le père joue son rôle de Père-la-Loi. La morale serait donc sauve, si... Car si scandale il y a, c'est l'absence du Père et non la transgression de la fille : comment pourrait-il y avoir transgression puisqu'il n'y a pas de Loi?

Fig. 20. Femme. Djeddah. (Cliché : Dominique Baudis
Fig. 20. Femme. Djeddah. (Cliché : Dominique Baudis. Regard sur le Proche-Orient.).