Avec Outremer (1998), Nabil Saleh plonge plus loin dans l'histoire du Levant. Ce roman est situé à l'époque des Croisades, temps d'échanges entre Francs et Orientaux, temps de rencontres culturelles.
Aimeric Maurel, né de parents cathares, hérite de son père, qui a échappé au bûcher de Montségur, la mission de venger les cathares innocents massacrés, en allant en Terre sainte tuer Philippe de Montfort le descendant du responsable. Convaincu du bien-fondé de sa mission, Aimeric s'installe à Acre chez Arnaud de Foix, vieil ami de son père. Doutes, circonstances contraires, lui font repousser le moment d'agir et Montfort est assassiné par d'autres, dans le cadre d'une autre lutte, celle qui oppose musulmans et chrétiens. Aimeric épouse Zeinab, fille d'un maronite et d'une Druze, et suit l'enseignement d'un médecin juif. Ballotté par les événements qui secouent la Terre sainte, d'Acre à Gibelet, il erre en quête de sécurité pour sa famille et recherche la paix intérieure. Au terme de nombreuses tribulations et après avoir cherché refuge auprès du fils de celui qu'il aurait dû tuer, il finit par s'installer à Acre et avoue à Arnaud de Foix qu’il a perdu sa foi.
Aimeric a des doubles dans le roman : Saad, le frère de Shams, sa belle-mère, qui venge son frère injustement sali lors de l'assassinat de Philippe de Montfort; Dawud, le cousin de Zeinab, qui retourne à la foi d'origine de ses pères, non entachée de compromissions. Aimeric, lui, cherche à ne pas s'engager. Entraîné malgré lui par les uns ou les autres, il reste en retrait et accomplit sa tâche de médecin.
Outremer est un roman sur les hérésies, les fanatismes cathare, druze, ismaili, juif, sur les différentes manières d'aborder une religion martyre en la taisant, en la dénaturant, en la compromettant, en se battant sans discernement… Aimeric prône un questionnement, une ouverture d'esprit qui s'applique à tous les oBSCurantismes (y compris la médecine : à Milan, son savoir acquis en Orient est condamné), à toutes les intolérances. Avec Arnaud son père adoptif cathare, Gérios son beau-père maronite, Shams sa belle-mère druze rejetée par les siens à cause de son mariage avec un chrétien, ses enfants baptisés, son maître juif, sa famille de Terre sainte témoigne de ce qu'est la tolérance religieuse. Ironiquement, Tanios, le fils des deux hérétiques (Aimeric et Zeinab) est angélique. (NS O 151-157). Il s'agit donc d'une fable à l'usage des temps modernes sur l'acceptation de l'Autre et le rejet de toute forme de fondamentalisme, et d'intégrisme qui le nient.
Les Croisades représentent un premier contact colonial avec des Francs divisés, qui s'allient avec les diverses communautés locales par opportunisme, comme le firent plusieurs siècles plus tard les puissances mandataires. L'autre aspect intéressant du texte est la réflexion sur le souvenir et sur la dette :
‘ Should we allow the past to keep on haunting us. (NS O 46) ’A cette question, Leïla Baalbaki avait apporté cette réponse :
‘ Chaque génération doit assurer seule les conséquences de ses actes, et non pas être la passerelle de squelettes et de crânes sur laquelle s'allonge et s'endort la génération suivante, puis, dans un essaim de mouches attirées par la pourriture, s'écroule pour laisser place à une nouvelle passerelle de squelettes et de crânes. 1194 ’Baalbaki, Leïla. ‘Nous sans masques.’ p.158.