La poésie a longtemps dominé la scène littéraire arabe. Dès ses débuts, la poésie arabe joue une double fonction : elle est divertissement en même temps que propagande ou didactique. Dès la période pré-islamique, le poète est le porte-parole de sa tribu. Plus tard, il instruit les dirigeants dans les arts du gouvernement 1200 . Les poètes du Mahjar ont aidé à renouveler ce genre qui de plus en plus favorisait la forme. Leur poésie, née du chevauchement de deux mondes 1201 , est une poésie du déchirement qui exprime à la fois la nostalgie, la détresse, la révolte et l’immense espoir que donne la découverte d'un nouveau monde. Le renouvellement de la poésie passe par une simplification et un assouplissement de la langue. Comme le Khalid de Ameen Rihani (AR BK 53-54), les poètes apprennent à se libérer des contraintes remontant aux Sibawi et autres grammairiens anciens :
‘ Although writing in Arabic, Khalid prefers English. [...] Khalid stops short in the mazes of Sibawai, runs out of them exasperated, depressed and never for a long time after looks in that direction. He is now curious to know if the English language have its Sibawais and Naftawais [...] and [...] finds the way somewhat devious, too, but not enough to constitute a maze. (AR BK 55) ’Ils introduisent un romantisme à la fois religieux et national qui dynamise la nostalgie du paradis perdu, la réactualise au contact des idées scientifiques contemporaines pour lui donner une nouvelle impulsion. A nouveau, Ameen Rihani parodie ce romantisme scientifique qui oscille entre la science d'un côté et le romantisme français et anglais de l'autre (AR BK 133-134). S'il parodie ce style poétique dans The Book Of Khalid, il le pratique néanmoins dans ses propres poèmes. Il évoque la flore et la mythologie de l'Orient avec nostalgie :
‘ ... Alas! where are the roses which the primeUn cycle, intitulé ‘Andalusia’ évoque l'âge d'or perdu mais prêt à ressusciter, comme l'indique le dystique final de chacun des quatre sonnets :
‘ Arabia dark-eyed, light-hearted, fair,Dans un grand nombre de poèmes, l'influence soufie apparaît nettement. Dans le long texte intitulé A Chant of Mystics, il joue des rythmes jusqu'à provoquer une transe mystique :
‘ The banquet, the host, and the guest,-L'exil lui inspire des vers nostalgiques :
‘ I wander among the hills of alien landsLes poètes émigrés d'expression anglaise utilisent les mêmes accents que leurs amis arabophones pour évoquer la terre.
La fonction poétique du poète reprend le dessus avec les mouvements d'indépendance : le poète chantre et chroniqueur de la tribu devient le héraut de la nation arabe 1202 . Le poète s'engage dans l'arène politique et poétique : le poète d'expression arabe doit poursuivre le travail de libération entrepris par ses aînés du Mahjar. Jabra Ibrahim Jabra, en arabe, a participé à cette rénovation de la poésie. L'extrait traduit ne donne pas une idée précise du style :
‘ Me voici, Mort, me voici.La question palestinienne a suscité de nombreux poèmes ainsi qu'une réflexion sur l'écriture poétique la plus apte à rendre ce drame. Citons La Palestine comme métaphore de Mahmoud Darwich 1204 . Il existe une nette parenté entre poètes arabophones et anglophones. Ainsi ce texte de Fadwa Tuqan est-il proche, esthétiquement et thématiquement, de ceux d'Etel Adnan :
‘ Sorrow had no voice, beholdLes poètes d'expression anglaise rencontrent moins de difficultés que leurs collègues puisqu'ils n'ont pas à se débattre avec un héritage aussi pesant, avec un choix entre les langues (Mahmoud Darwich s'explique dans le recueil d'entretiens cité plus haut sur l'emploi de la langue classique et de la langue dialectale en poésie). Ils bénéficient d'une plus grande liberté mais ils n’ont plus l'esprit pionnier des poètes du Mahjar. A leur décharge, il faut reconnaître que la déstructuration opérée par le post-modernisme leur offre un outil adapté au démantèlement de leurs structures nationales et individuelles. Les courts poèmes de From A to Z , presque perdus sur leur page blanche, témoignent, avant même d'être lus, de l'explosion nucléaire qu'ils exposent. De la même façon, le texte haché de Beirut 1982 reproduit les corps déchiquetés de Sabra et Chatila.
1204 LeGassick, Trevor. Major Themes in Modern Arabic Thought : An Anthology. AnnArbor: University of Michigan Press,1979.
Anthologie de la littérature arabe contemporaine.T.3. La poésie. p.17.
Anthologie de la littérature arabe contemporaine. T.3. La poésie. p.21.
Jabra, Jabra Ibrahim in Anthologie de la littérature arabe contemporaine. T.3. La poésie. p.187-188.
Darwich, Mahmoud. La Palestine comme métaphore. 5 (Arles : Sindbad/Actes Sud, coll. La Bibliothèque Arabe. Les Littératures Contemporaines, 1997.)
Tuqan, Fadwa. ‘Gone are Those We Love.’ (1973) in Boullata, Kamal ed. Women of the Fertile Crescent. Modern. Modern Poetry by Arab Women. Washington: Three Continents Press, 1978. p. 152.