a - Roman de formation.

Tous sont, à divers degrés, des romans de formation. Tous les personnages, même ceux qui sont en apparence adultes, doivent subir des épreuves avant d'accéder à la maturité. S'il est évident que Khalid (AR BK), Jameel Farran (JIJ HNS ) Samar (RA SS ), Ram (WG BSC ) ou encore Aimeric Maurel (NS O ) sont des jeunes gens en quête d'un statut de sujet, il n'en est pas moins vrai que le qadi Abu Khalil (NS QFT) ou la narratrice d'Antiquity Street (SRAS), bien qu'adultes, franchissent des étapes initiatiques qui leur font prendre conscience de leur statut et les font évoluer (même si c'est de manière ambiguë). L'archétype de la quête initiatique se trouve dans The Book of Mirdad, dans le récit prétexte du roman : un narrateur affronte diverses épreuves avant d'avoir accès à un savoir jusqu'alors hors de sa portée. D'un symbolisme facile - ascension difficile, rencontres rituelles, traversée de la vallée de la mort, dépouillement total avant l'accès à la connaissance - sur le mode du conte, il établit un schéma que suivent les autres romans.

On rencontre néanmoins plusieurs modes, de la forme classique linéaire avec narrateur omniscient au récit autobiographique à la première personne en passant par les récits composites : The Book of Khalid , A Beggar at Damascus Gate tiennent à la fois du journal, du roman épistolaire, de la biographie (romancée). Cette abondance des angles d'approche témoigne de la complexité de la tâche. La maturation du sujet chez les auteurs d'expression anglaise est compliquée par la nature bi-culturelle des épreuves à affronter, et souvent par le redoublement de celles-ci, en Orient et en Occident ou dans le même pays avec deux groupes sociaux ou nationaux opposés. Ainsi Ram et Font (WG BSC ) n'ont-ils pas seulement maille à partir avec la famille de Ram mais également avec les familles anglaises qui les accueillent. Aimeric Maurel (NS O ) se demande s’il est opportun de mettre à exécution la mise à mort de Philippe de Montfort en Orient et, pendant sa visite au chevet de sa mère, il se voit contraint de débattre des fondements de sa médecine devant un véritable tribunal à Milan. Ces épreuves correspondent à deux séries de valeurs, la plupart du temps opposées, rendant d'autant plus ardue la progression du sujet.

La prolifération de manuscrits perdus, retrouvés, reconstitués pointe dans la direction d'une identité enfouie à faire resurgir : est-elle enfouie sous une langue, une culture qui l'étouffe? Est-elle enterrée sous les décombres d'une guerre civile ou extérieure (la guerre civile des années 1970 permet de réapparaître à un texte qui fut écrit à l’époque d’une autre guerre civile, dans les années 1840 (NS QFT))? Est-elle enfouie sous le poids de traditions qu'une évolution (ou révolution) sociale fait disparaître? On remarque qu'une intervention extérieure est nécessaire à sa reconstitution : quel est ce restaurateur de texte qui, en recollant les morceaux, en cherche l'origine pour leur donner un avenir? Ainsi M. Foster (YZ BDG) ou le narrateur de The Book of Khalid enquêtent-ils sur leur personnage pour enrichir le texte rédigé par ce personnage, lui donner plus de consistance afin que ce texte-miroir puisse offrir un espace à un lecteur extérieur. Ce travail d'édition du texte est assimilable à un parcours initiatique et entre dans le cadre du roman de formation : le narrateur et le personnage sont lancés dans des quêtes parallèles. M. Foster, le narrateur, n'apparaît sous son nom qu'à la fin du livre lorsqu'il a acquis un certain savoir sur lui-même et non plus uniquement sur Rayya. Sa propre mise à l'épreuve lui donne enfin accès à son nom propre.

Dans ces romans, plusieurs personnages évoluent parallèlement : la mise en scène de ces nombreuses paires permet au romancier d'explorer diverses possibilités, diverses options. A l'inverse du roman édifiant qui mène son lecteur vers un but précis, subsiste ici une zone d'ambiguïté, dans la mesure où le chemin idéal n'est suivi par aucun des personnages intégralement, chacun en empruntant une portion seulement. Il en résulte non pas l'avènement d'un seul sujet, mais la (re)production de toute la société qui l'entoure, qui le façonne en l'assimilant ou en le rejetant.