b - Roman policier.

Le roman policier tient une large place parmi ces œuvres d'expression anglaise. Ce genre où se sont distingués des auteurs britanniques, attire les auteurs anglophones pour diverses raisons.

Edward Atiyah s'y est particulièrement illustré avec The Thin Line , The Crime of Julian Masters et Donkey from the Mountains. La quête du narrateur de A Beggar at Damascus Gate ressemble à celle d'un policier d'autant qu'il y a soupçon de meurtre (la mort d'Alex est suspecte et n'est pas vraiment élucidée). Le meurtrier de la jeune couturière qui aide Aisha à échapper au projet de mariage élaboré par son père demeure introuvable (NS QFT). Le chef de police Challis qui cherche à confondre Tareq (SA L ) voit son enquête aboutir, bien que les méthodes qu'il emploie soient peu recommandables. Si seuls les trois premiers romans cités sont des romans policiers à part entière, on voit que l'instinct policier hante quelques autres textes auxquels on peut ajouter One Day I Will Tell You, roman d'espionnage, genre auquel se rattache également A Beggar at Damascus Gate. Dans les romans d'Edward Atiyah, on sait dès la première page qui a tué ou n'a pas tué. On nous montre Faris Deeb en train de tuer la jeune actrice américaine (EA DM), Peter Mason n'a de cesse qu'il n'avoue son crime (EA TL); quant à Charles Pearson, on découvre qu'il n'est pas le meurtrier parce que la pièce à conviction est dérobée sous les yeux du lecteur (EA CJM). Traditionnellement, l'élément moteur du roman policier est la recherche du coupable et de ses motivations. Or dans ces romans, il n'y a pas véritablement de quête, d’enquête: elle demeure marginale. Qu'importe qui a tué Vera et Jennifer Taylor puisque Charles Pearson est innocenté par d'autres moyens (EA CJM). Qu'importe que la police continue à ignorer la part de responsabilité de Faris Deeb dans la disparition de la jeune étrangère puisque sa femme le sait (EA DM). De même, la police ignorera toujours le nom de l'assassin de Serena Stewart puisque sa propre épouse réduit le coupable au silence (EA TL). Toutes les recherches échouent à l'exception de celle de Challis qui a fabriqué un coupable avec de fausses preuves (SA L ).

Faut-il en déduire que ce sont de mauvais romans? Certainement pas, sinon on imagine mal qu'un réalisateur de films policiers de renom se soit intéressé à l'un d'eux (EA TL). Dans la mesure où le coupable est connu, le schéma de la quête est en partie désamorcé. Le lecteur, lorsqu'il suit les déductions des divers membres de la famille de Faris, sait quand ils font fausse route ou s'approchent de la vérité. Plus qu'autour d'une structure de quête, il semble que ces romans s'articulent autour d'une problématique de la culpabilité. Le poids de la culpabilité, l'aveu de l'acte meurtrier ou le silence sur celui-ci, sont au coeur de ces oeuvres. Dès les premières lignes, le meurtre de Serena Stewart est placé sous le signe d'Othello :

It's Othello, not Crippen; a much more distinguished class...And you always recited that last speech of his beautifully. (EA TL 5)

Ce meurtre est déplacé du domaine sordide de la réalité représentée par Crippen vers le domaine culturel avec Othello. Othello, le Maure, se croyant trahi tue la blanche Desdémone Stewart (Stuart, par homophonie) : c'est ici l'aveu d'une culpabilité de l'Oriental envers l'Angleterre qu'il assassine d'une quelconque façon. Que l'Angleterre l'a trahi, à plusieurs reprises, est une évidence (les indépendances retardées, la Palestine sacrifiée...) : c'est plutôt l'Angleterre qui l'assassine, mais par ce curieux renversement coutumier de la relation colonisé/colonisateur, c'est l'Oriental qui se sent coupable.

Dans l'affaire de Julian Masters, si l'on met l'Oriental à la place du jeune Julian et l'Angleterre à la place du maître Charles Pearson, on retrouve un schéma commun : l'Oriental, qui a tout appris de l'Angleterre et l'admire, lui vole son arme - sa langue, sa culture - pour tenter de s'émanciper : on a ici un cas de culpabilité liée à la dette et au meurtre symbolique du Père. Rendre ou ne pas rendre l'arme : le dilemne de Julian correspond à la division du sujet d'expression anglaise, oscillant entre amour et haine, désir de continuer à vivre dans le giron anglais et de le rejeter à cause de sa volonté castatrice, entre désir de l'unité de l’Empire et désir de sa destruction. Le désir de meurtre est inavoué, reste du non-dit, d'où la culpabilité.

Avec Faris Deeb, le lien entre sa culpabilité et celle de l'Oriental occidentalisé est encore plus clair. Faris Deeb, le villageois, se rend à la ville (on verra ultérieurement comment l'opposition entre village et ville est une métaphore de l'opposition Orient-Occident). Le meurtre qu'il commet est la conséquence des frustrations, des tricheries qu'il a subies à la ville. Ainsi rejette-il le meurtre de la jeune femme, produit de la ville, sur la ville. C'est la ville qui a fait de lui un meurtrier et il rejette sur la ville la culpabilité qu'il refuse d'assumer.

La série de meurtres non élucidés montre cependant que cette affaire n'est pas aussi simple qu'il y paraît, que la responsabilité est difficile à établir avec certitude. A l'exception du non-crime de Julian Masters (puisqu'il aide à retrouver l'arme après s'être dénoncé, non sans éprouver des sentiments partagés) où la police joue un rôle, les autres crimes demeurent inavoués pour le spectateur extérieur. Ils se jouent dans le huis-clos de la conscience d'un individu qui laisse les traces qu'il veut bien laisser voir aux autres. La langue, la culture, ainsi que l'arme volées sont des éléments tangibles, dont l'aveu est inévitable. Un meurtre sans empreinte (EA TL) et un meurtre sans corps (EA DM) laissent planer un doute sur la culpabilité réelle ou la réalité du meurtre. Détenir une arme, fût-elle aussi potentiellement efficace qu'un savoir de l'intérieur, suffit-il à commettre un meurtre? Ne serait-ce pas sa simple détention qui rend suspect, suspect d'être un agent double ? Faris Deeb, Peter Mason ou Julian Masters se voient doubles : ils se voient coupables de l'acte commis et se voient (ou prétendent se voir) comme les autres les voient. La scène inaugurale de The Thin Line met en scène ce dédoublement : Peter Mason dialogue avec un hypothétique spectateur ( one part of his mind watching the proceedings in the other, like an outside spectator’ (EA TL 4)). Julian souffre des oreilles avec une forte température lorsqu'il jette l'arme dans le fleuve la nuit : on l'accuse donc d'hallucination (EA CJM). Ce dédoublement, qui voudrait suggérer que la partie agissante n'est pas la responsabilité de l'autre partie, ne parvient pas à ôter la culpabilité. L'agent double se sent coupable vis-à-vis des deux parties : il trahit les deux en les servant (c'est-à-dire en les desservant) toutes deux. Le serviteur de deux maîtres (ou d'un maître, l'Occident, et d'une maîtresse, la terre natale, femme, amante) est toujours victime : Daoud al Mousa est supprimé (SKA OD) par son propre frère et Alex semble l'être par les amis de Rayya (YZ BDG). Dédoublement ou doublement entraînent la disparition du sujet. A l'exception de Julian Masters, tous les autres coupables disparaissent : Peter Mason, à force de se raconter (EA TL), se dissout, Faris Deeb, à force d'être raconté par les autres, n'a plus sa place dans son histoire, Julian prend la parole et avoue : prendre la parole lui permet d'accéder à un statut où il devient maître ( Master ) du jeu, du je.

Ecrire pour avouer sa double appartenance permet à l'auteur d'expression anglaise de ne pas être écrasé par le poids conjugué de deux univers. Daoud al Mousa est un narrateur posthume parce qu'il n'a pas trouvé en lui la force de dire son double jeu. (SKA OD). Le danger d'être réduit au silence par l'interférence des deux langues est réel : aphasie (EA LP), dyslexie, aphonie (CG BP) en sont des manifestations. Le sujet doit, pour en guérir, se débarrasser de sa culpabilité à l'égard de la langue mère en partie abandonnée (le confort d'une vie normale perdue à cause du meurtre, pas totalement perdue tant que le meurtre n'est pas avoué) et à l'égard de la nouvelle langue dans laquelle il a le sentiment d'être par effraction (ou en infraction).