c - Roman historique.

Le roman historique représente un certain attrait pour ces écrivains de l'entre-deux. Nabil Saleh explore les Croisades (NS O ) et le passé plus récent (les années 1840 (NS QFT) et 1940 (NS OH)). Edward Atiyah réécrit, réinvente l'histoire avec un Napoléon anglais (EA EFE ). Ahdaf Soueif fouille dans le passé de ses héroïnes (AS ML ). Ce regard tourné vers le passé cherche non seulement des racines - on verra la nécessité de réaffirmer son histoire passée - mais une continuité. C'est ainsi que dans le roman de politique-fiction de Carl Gibeily (CG BP ), les temples de Baalbek jouent un rôle de premier plan : ils ne servent pas de décor, ni de vague référence associée à un lieu dans l'imaginaire touristique ou politique du lecteur (le festival de Baalbek ou un haut lieu du chiisme). Ces temples sont le point de départ d'une réflexion sur l'histoire et le lieu supposé d'un lien avec un autre temps, un autre univers. La politique-fiction de Carl Gibeily par son traitement de l'histoire s'apparente au roman historique : plutôt que de science-fiction (il existe des éléments de ce genre dans ce roman), on pourrait parler d'histoire-fiction : Carl Gibeily projette des éléments connus dans un temps connu (s'il va au-delà du temps réel, une bonne partie du roman se passe néanmoins entre 1982 et 1997) de la même manière qu'Edward Atiyah projette Napoléon dans une autre aventure, en modifiant un détail qui fait dévier le cours de l'histoire. Il s'agit d'une démarche similaire à celle que nous avons mentionnée auparavant, l'utilisation de divers couples de personnages pour explorer les diverses possibilités dans un espace romanesque donné. Ici, il s'agit d'explorer une alternative à l'histoire telle quelle a eu lieu. Une des fonctions traditionnelles du roman historique consiste à éclairer le présent en le mettant en relation avec le passé. Si les romans de Nabil Saleh sont des fables à l'usage des temps présents, le roman de Carl Gibeily en agissant directement sur le présent, se place dans l'urgence d'une crise: la fin de Blueprint for a Prophet , en revenant en arrière, en redonnant une chance aux personnages afin qu'ils s'engagent sur une voie moins meurtrière est très explicite quant à la leçon qu'elle impose à ses lecteurs. Les autres romans historiques sont plus allusifs, plus métaphoriques même si le lecteur informé de la situation présente au Proche-Orient y voit nettement des parallélismes, des références. Chez Carl Gibeily, le hoquet de l'histoire qu'il narre est l'anticipation d'un dérapage explicitement désigné comme tel et l'avertissement au lecteur est sans ambiguïté. Edward Atiyah tente, en réécrivant la vie de Napoléon, de comprendre les mécanismes qui ont conduit à la conclusion de cette histoire.

Suffit-il de déplacer un individu pour que son histoire soit différente? Echappe-t-on à son destin? On a dit la tentation du tragique chez la plupart de ces auteurs et le remaniement de l'histoire semble être une nouvelle façon d'aborder ce problème du destin. La réponse d'Edward Atiyah montre l'inéluctabilité : Napoléon, qu’il naisse français ou anglais, achève ses jours à Sainte Hélène, et recommencer l'histoire une troisième fois (comme l'épilogue en suggère l'éventualité) ne semble pas pouvoir enrayer la machine. En apparence, Carl Gibeily ne conclut pas : il met ses personnages sur une nouvelle voie qu'il ne mène pas jusqu’à son terme - mais le lecteur qui connaît le hors-texte sait que l'enchaînement de violence dans la réalité non romanesque équivaut à celui du roman. La conclusion ouverte n'est en fait qu'une illusion.

A l'inverse des romans de Nabil Saleh qui tendent vers une solution de compromis qui assure une forme de paix, ceux d’Edward Atiyah et de Carl Gibeily semblent confirmer la catastrophe, la nakba. D'ailleurs, si l'on compare The Eagle Flies from the East aux autres romans (non historiques) d'Edward Atiyah, on remarque que la plupart sont assez pessimistes : Peter Mason est assassiné par son épouse (EA TL), Faris Deeb se suicide concédant une amère victoire à sa femme (EA DM), Black Vanguard laisse planer des doutes certains sur l'avenir de Mahmoud et Lebanon Paradise contrarie les désirs des personnages centraux.

Le roman historique apparaît donc comme un genre ambivalent : d'une part, il permet de réaffirmer une histoire niée par les diverses colonisations, mais, d'autre part, cette réappropriation n'est pas nécessairement la garantie d'un meilleur avenir.