b - Contes et légendes.

... the memory, that some old Hakawati would recall almost nightly, of the caliphs in their desert tents, fleeing the stone chains of the city to live on an air untainted by living, an air that smelt of nothing but the zest of breathing (SA L 166)

L'imaginaire occidental établit un lien étroit entre Orient et contes 1212 . L'Orient lui-même attache une grande importance à ses contes, liés à une tradition arabe que le colonialisme et la modernité ont fait partiellement disparaître. Le conteur conserve son aura, même dans un contexte politico-financier tel que celui que met en scène Saïd K. Aburish :

The other people at the arrivals gate weren't as lucky as I was. They weren't waiting for a natural story teller, or a legend in his own time, or for that matter, someone whose very being was enveloped in grace which transmitted itself to others. (SKA OD 47)

L'importance du dire demeure entière dans ce contexte de l'écrit : il surgit toujours un personnage prêt à raconter une histoire - la sienne ou une autre - qui tient en haleine les autres ou le lecteur. Il n'est pas étonnant que Schéhérazade et ses Mille et une nuits hantent la plupart des romans :

How similar to Scheherazade you are, with your stories of the East, leading me along, besotted or bemused. (YZ BDG 52)

Julian Masters distille une vérité dont dépend une vie. Le Napoléon anglais joue aussi contre le temps en s'inventant une autre vie. Le narrateur de The Book of Khalid manipule digressions et accélérations, celui de A Beggar at Damascus Gate mêle les récits. On a déjà souligné le nombre élevé de récits emboîtés, structure narrative qui rappelle celle des Mille et une nuits.

Old Arabic books, printed in Bulaq generally have a broad margin wherein a separate work, independent of the text, adds gloom to the page. We have before us one of these tomes in which the text treats of the ethics of life and religion, and the margins are darkemed with certain adventures which Shahrazad might have added to her famous Nights. (AR BK99)

Les marges seraient-elles le véritable texte? La quête du narrateur serait-elle plus importante que le texte (manuscrit-journal) qu'il reconstitue? La quête, dont le caractère initiatique est très marqué dans The Book of Khalid ou même dans A Beggar at Damascus Gate avec l'épreuve finale subie par M. Foster lors de laquelle il lui faut être formellement reconnu afin d'avoir accès à l'objet de sa quête, est-elle ce qui devrait retenir l'attention du lecteur invité à s'identifier au je du narrateur?

D'autre part, ce narrateur-raccommodeur tente de faire un texte lisible des fragments dont il dispose. Serait-ce la quête d'un texte idéal? Si l'on prend en compte les remarques métafictionnelles éparses dans de nombreux textes, ne peut-on penser qu'il s'agit de textes sur l'écriture, sur le problème de la représentation et que c'est en cela que réside leur intérêt? A cet effet, il n'est pas surprenant qu'un autre personnage de légende apparaisse de façon récurrente dans nos textes. Antara, le type de l'Arabe errant, à la fois pasteur, guerrier et poète, qui a écrit le désert tout entier dans ses poésies nationales, épique comme Homère, plaintif comme Job, amoureux comme Théocrite, philosophe comme Salomon 1213 . Si Ahdaf Soueif (AS S 18) ou Ramzi Salti (‘Antara and Juliet.’ RS NI 23-33) insistent sur l'aspect sentimental, il n'en reste pas moins qu'Antara a également à voir avec l'entre-deux : fils d'un Arabe et d'une esclave abyssine, il était considéré comme un bâtard avant de démontrer sa vaillance et de devenir le protecteur de sa tribu et un héros mythique. Cette origine mixte lui confère une familiarité avec les auteurs de l'entre-deux qui doivent, eux aussi, prouver leurs mérites pour être reconnus par leur tribu, que ce soient les écrivains anglais ou le public anglais. Mais Antara a aussi livré combat et soumis des Francs, ce qui renvoie à l'ambivalence des écrivains arabes anglophones face à l'impérialisme occidental. A cet effet, la mère de Tareq met en garde contre l'émulation du héros de légende appliquée à l’époque contemporaine :

Do they think they are going to defeat the ingliz? I tell you, all they are doing is escaping from work, playing at Antar, and we have to pay for their fantasies, their laziness. (SA L 179-180)

S'ils donnent un modèle stimulant (CG BP 31), les héros des contes ne peuvent cependant pas occulter la réalité. Les fées se transforment en sorcières (AR BK 89-90) et les génies ne sortent plus des lampes modernes :

There on the table was a lighter, a big silver Ronson - Aladdin's lamp. [...] Tick tick, It didn't work. She murmured something to Hassan Effendi. He put his hand in his pocket and gave me a new box of matches. (WG BSC 11)

Bagdad, la cité des Mille et une nuits (JIJ HNS18) a perdu tout son attrait :

From morning till midnight they play cards and drink tea and lemonade and talk, talk, talk, like a thousand parrots about husbands, children, boy lovers, girl lovers, you would think the whole of the Arabian Nights were coming back in the shapes of those fat-breasted women. Finally they go away leaving behind their gossip, their stories of sex and money and scandal, hanging over the dirty plates and glasses and remmants of food and shells of pistachio nuts. (JIJ HNS 141)

Une fois que le merveilleux a cédé le pas à l'ordinaire, il ne reste que l'envers du décor. Dans le quotidien de la réalité, les histoires, si héroïques soient-elles, ne se terminent jamais sans ambiguïté. Dans la réalité bi-culturelle, elles sont emmêlées, comme celles du mauvais conteur de The Lord  :

The long story rambled on, one myth confused with another and cancelling them both into pointlessness. The warrior, whose courage had been over- looked, and who should have revealed his quality in the epic battle, accompanied by the names and genealogies of all his victims, turned instead into the mad lover, deceived by his tribe, undone by his loss, and yet -more confusion- turning back into the warrior and changing all his attributes again so that the chant ended with a marmalade of all the ingredients present on the battlefield : the wicked amir; the triumphant warrior, dying in his capacity as lover while enduring as conqueror of the faithless; the beloved at the same time weeping and suicidal and exultant, ready for the apotheosis; the traitor slain, the invader repelled; and the roc sweeping down to save the warrior, from his enemies, simultaneously defeated and omnipotent. (SA L 167)

Dans le combat qui se livre à l'intérieur du sujet entre ses différentes allégeances, ni vainqueur, ni vaincu donc, mais cette confusion que même le recommencement ne peut atténuer. Si l'on considère Blueprint for a Prophet comme un conte, le retour en arrière et la deuxième chance donnée aux personnages ne permettent pas d'atteindre une fin heureuse. La tragédie semble toujours prête à l’emporter. A peine Sulafa a-t-elle évoqué ces femmes sans charmes, déchets des Mille et une nuits contemporains, qu'elle poursuit avec King Lear (JIJ HNS141). De la même façon le jeune narrateur de Antara and Juliet (RS NI) et sa compagne se voient en Roméo et Juliette. Mais comme on l'a déjà remarqué ailleurs on assiste à un glissement vers le drame : l'Antara occidentalisé et sa Juliette vont dans un restaurant français fêter l'anniversaire de leur rencontre comme le font les héros de la chaîne de télévision en anglais (RS NI 33). Et Sulafa réécrit King Lear en donnant raison à Goneril et Regan (JIJ HNS141).

De conte en tragédie jusqu'au drame, ces Sindbad d'écrivains (AR BK 100 ;YZ BDG 52) errent sur des mers d'encre, traçant la carte de leur quête avec des signes à décrypter :

She scribbled unknown words on triangular, star-shaped sketches that she had hastily drawn on pieces of paper. (YZ BDG 43)
Notes
1212.

voir Katibah, H.I. Other Arabian Nights. (1928) et Arabian Romances and Folk-tales. (1929).

1213.

Lamartine, Alphonse de.Voyage En Orient.