d – Parodie.

The Book of Khalid se présente comme une vaste farce (‘a literary ho’ax (AR BK 7)) : pour justifier cette affirmation, le narrateur se fonde en partie sur son aspect parodique. Ameen Rihani se livre plus que ses confrères à ce jeu littéraire mais tous sont tentés par l'imitation d'autres auteurs et d'autres styles et genres.

La parodie a plusieurs fonctions chez les auteurs d'expression anglaise. Imitation ludique, elle entre dans le cadre d'une vision ironique du monde assez fréquente. Elle permet une critique de divers styles littéraires ou de jargons professionnels (AR BK 228-230 ; RA SS 106 ; SKA OD) :

« To trade or not to trade, » Hamlet-Khalid exclaims, « that is the question : whether « ’tis nobler in the mind to suffer, etc., or to take arms against the Cash Registers of America, and by opposing and- » (AR BK 130)

Les soi-disant poètes que sont Khalid et son ami Shakib ne sont pas épargnés par un narrateur féroce qui se réfère tantôt à la littérature anglaise, tantôt à la littérature arabe. On peut donc lire de truculents dialogues comme celui-ci entre Khalid et Najma, sa bien-aimée, inculte :

« Speak, ya gazalty (O my Doe or Dawn or both); your words are like the scented breeze, like the ethereal moon rays, which enter into this Temple without permission. Speak, and light up this ruined Temple of thine. »
«
How sweet are Your words, but really I can not understand that. They are like the sweetmeats my father brought with him once from Damascus. One eats and exclaims, « How delicious! » But one never knows how they are made, and what they are made of. I wish I could speak like you, ya habibi » . (AR BK 160)

Epopée (AR BK 174-175), poésie transcendantaliste (AR BK 49-50), poésie moderniste (AR BK 133-134), lyrisme romantique (SA L 108-109), symbolisme (AR BK 162), les travers de tous sont mis en lumière, y compris ceux des poètes du Mahjar (‘Blubbering like a good Syrian his complaint and joy, gushing now in verse, now in what is worse, in rhymed prose’.(AR BK 277)).

Le grand modèle à parodier demeure la Bible (MN BM ; CG BP ) avec ses dérivés apocalyptiques (CG BP ), kabbalistiques (CG BP ) et ses déviances (Nostradamus, CG BP ).

Il apparaît dans ces parodies qu'elles sont parodies de parodies. Ameen Rihani parodie une certaine forme d'écrivains manquant d'originalité qui imitent leurs prédécesseurs. Les poètes du Mahjar eux-mêmes ont été des imitateurs avant de trouver un style original, fait du mélange des styles orientaux et occidentaux.

Cette mise en abyme permet à l'écrivain qui la pratique de faire la preuve de sa maîtrise de la culture d'accueil : imiter, parodier soi-même un auteur prouve peut-être une certaine dextérité alors que parodier une parodie montre qu'on est capable de repérer un texte malgré les voiles surimposés et d'en analyser les différentes composantes : une descente vers le texte d'origine à travers le palimpseste des ajouts et des glissements. Simultanément, l'écrivain arabe d'expression anglaise montre à son public occidental qu'il n'est pas dupe de la nature parodique de ses textes.

D'autre part, la parodie avant d'être jeu peut être travail sérieux. De jeunes auteurs comme Rima Alamuddin peuvent imiter les écrivains qu'ils admirent en guise d'apprentissage. On a dit qu'on reconnaissait parfois un style woolfien chez Rima Alamuddin ou qu'elle insérait des listes thématiques de vocabulaire : exercices de style initiatiques qui lui permettent au fil des nouvelles et romans d'acquérir un style propre. Quand Ameen Rihani prend un mot et digresse pendant cinq à six pages avec ce mot, il ne s'agit plus du même exercice (AR BK 160-166). A partir d'un mot innocemment lancé par sa jeune compagne, Khalid se lance dans des variations sur le mot en question : à partir des volants de la robe de mariée désirée il poursuit sur la vie, la mort, le pouvoir, la philosophie, la science, Dieu, mêlant les formes (nominale, verbale), les signifiés de flounce et ruffle, les faisant glisser de l'un à l'autre pour s'éloigner toujours plus de la robe de mariée pour atteindre la Divine vêture dans un tourbillon paranomastique :

What can you do without your flounces? How can you live without your ruffles? [...] Are you not ruffled and flounced when you first see the light, ruffled and flounced when you last see the darkness? The cradle and the tomb, are they not the first and last ruffles of Man? And between them what a panoramic display of flounces! What clean and attractive visible Edges of unclean invisible common Skirts! Look at your huge elaborate monuments, your fancy sepulchers, what are they but the ruffles of your triumphs and defeats? [...] Ay, we live in a phantasmagoric, cycloramic economy of flounces and ruffles. The human Spirit shirks nudity as it shirks pain. Even your modern preacher of the Simple Life is at best suggesting the moderate use of ruffles.... Indeed, we can suffer anything, everything, but the naked and ugly reality. [...] I tell thee every new-born babe is the magnificent flesh-flounce of a shivering, trembling, nudity. And I Khalid, what am I but the visible ruffle of an invisible shirt? Verily, I am; and thou, too, my Brother. Yea, and this aquaterrestrial globe and these sidereal heavens are the divine flounces of the Vesture of Allah. (AR BK 161-166)

Si pour Rima Alamuddin, il y a un enjeu didactique, pour Ameen Rihani, le jeu n'a pas d'enjeu autre que le jeu du je.

On a signalé déjà comment Gibran Kahlil Gibran considérait l'écrivain anglais en lui comme une fausse copie de lui-même De nombreux personnages sont montrés en représentation, prétendant être autres que ce qu'ils sont (EA TL 20), n'étant en fait que l'ombre (EA TL 31), une pâle copie d'eux-mêmes : Blueprint for a Prophet. Un sentiment de faux ( ’sham  (AR BK 58) domine la plupart des oeuvres. Certains noms de personnages sont éloquents : Shamadan (NM BM), Saleh Shmali (CG BP ), si on se souvient de la dyslexie de son maître Khaled, et dans Rayya (YZ BDG ), on lit la racine arabe de la (dis)simulation, de la duplicité. Peter Mason (EA TL), Faris Deeb (EA DM)donnent le change en parodiant l'innocence, Daoud al Mousa, le narrateur espion (SKA OD) et ses confrères Alex et Rayya (YZ BDG ) jouent et écrivent des textes dont ils savent qu'ils sont des copies d'autres textes. Il y a du faux, du faux-semblant dans la vraisemblance que cherchent ces auteurs émigrés dans une autre langue. Il y a la peur de n'être qu'une parodie d'auteur, mais plus profondément, de n'être qu'une parodie de sujet.