b – Français.

Sonia Rami rappelle que la bourgeoisie égyptienne est francophone depuis sa rencontre avec Napoléon (SR AS). Le Levant a aussi été très profondément marqué par l'influence française, ce qui explique la place assez importante que tient cette langue dans ces romans d'expression anglaise. Nous avons mentionnés le trilinguisme de plusieurs de ces écrivains ; quatre au moins sont francophones avant d'être anglophones (Ameen Rihani, Andrée Lake/Chedid, Etel Adnan, Nabil Saleh) : ‘I borrowed the French language (it was decided for me, I should say)’ (EAd PWN 33). Dans presque chaque roman, on lit quelques mots ou phrases en français, pas nécessairement les clichés qu'utiliseraient des écrivains anglais. La qualité de la langue n'est pas toujours irréprochable. Dans Lebanon Paradise , on remarque de nombreuses fautes (‘bonnes parties’ au lieu de bons partis, par exemple (EA LP 17)). Cependant, il s'agit d'un français français et non pas du français levantin auquel Sonia Rami fait allusion (SR AS) et qu'a merveilleusement illustré Vénus Khoury Ghata dans ses romans 1217  :

Au début, je venais donc de la langue arabe, ample, vagabonde, faite de grands sauts, nourrie aux loukoums. [...] J'ai introduit dans la langue française la superstition de mon pays, une manière de vivre. 1218

Ici, le français n'est qu'accessoire, allégeant les indications de changement de langues entre les personnages et selon les événements.

Le français, langue de culture (de nombreux écrivains et philosophes sont mentionnés) et langue des peintres : la France est le pays de la peinture par excellence : Gibran Kahlil Gibran y a fait son apprentissage. Etel Adnanemprunte le pays comme elle emprunte la langue, pour y peindre et y réfléchir sur la peinture. Amin dans Black Vanguard qui veut devenir peintre ne rêve que de vivre en France afin de pouvoir y vivre son art. Mais son rêve de France est également dicté par les craintes que lui inspire son mariage avec Betty Corfield, une Anglaise : la France offre un terrain neutre où ils n'auraient de comptes à rendre à aucune de leur famille. Aux moments difficiles, Amin rassure Betty en français (EA BV 162-163). Peter Mason entraîne son épouse Margaret vers la France au moment de l'aveu de son meurtre, et un dialogue en français avec le serveur de l'hôtel (EA TL131) réintroduit une certaine normalité en replaçant les époux Mason sur un terrain neutre.

Le français serait (comme la France), pour les Arabes anglophones, un mode d'expression intermédiaire qui permettrait de désamorcer le conflit potentiel entre l'arabe et l'anglais. Cependant, le français est aussi l’instrument d’intentions coloniales. Un des personnages de A Beggar at Damascus Gaterelate son apprentissage du français en Algérie :

[He] tried to show off his knowledge of French by telling me about his life in a French camp in Algeria, and when I asked him if he was a professional soldier, he laughed [...]. He had only been the cook in a camp of a petroleum company looking for oil. (YZ BDG 14)

On trouve, dans cet exemple, avantages politiques et économiques réunis.

Néanmoins, c'est l'image du professeur qui est attachée au français. Même dans un contexte non oriental, le personnage principal de The Crime of Julian Masters est professeur de français. Akram a gardé des liens étroits avec M. Giraudoux (RA SS 188 ; 258), professeur de français. La mère de Ram évoque les soeurs qui l'ont éduquée (‘What FOU-RIRES at the PENSIONNAT! I remember the MERE-SUPERIEURE insisting on putting us in different dormitories...’ (WG BSC 123)). Ceci pourrait suggérer que le français est une langue de culture; or, la plupart du temps, le français est utilisé, dans les textes, pour des futilités, des histoires de mariage aussi bien chez Edward Atiyah dans Lebanon Paradise que chez Waguih Ghali :

Ca sera un couple charmant. [...] Tout le monde me faisaient [sic] la cour. (WG BSC 175)

Le français est donc la langue de la légèreté - liée au milieu artistique - une connotation tout à fait britannique (le français évoque le sexe, le luxe, la bohême). Il offrirait donc la possibilité d'une double transgression des tabous arabes et des réserves britanniques héritées de l'ère victorienne, ouvrant une troisième voie.

Notes
1217.

Khoury-Ghata, Venus. Le fils empaillé. (Paris : Belfond, 1980). Vacarme pour une lune morte. (Paris : Flammarion, 1983). Les morts n’ont pas d’ombre. (Paris : Flammarion, 1984)…

1218.

Khoury-Ghata, Venus. Entretien extrait de La Dépêche du Midi (9 Avril 2000).