c - Anglais.

L'anglais pratiqué par les auteurs anglophones est autant un mode de vie qu'un moyen d'expression, tout au moins pour la bonne moitié de la classe puisqu'on remarque une nette différence entre les excellents et les mauvais linguistes parmi nos auteurs .

L'anglais de référence est celui d'Oxford (EA BV 7 ; WG BSC 128 ; YZ BDG 125), lieu du savoir par excellence, lieu mythique, objet du désir des Orientaux anglophones (EA ATS). (On note une espèce de complexe de supériorité de ceux qui ont un accent anglais sur ceux qui ont un accent américain (WG BSC 132) : la supériorité de la vieille Angleterre sur le nouveau monde.) L'estampille Oxford donne accès, pensent-ils, à un monde qui resterait autrement interdit. Ainsi Mahmoud et Amin pensent-ils se faire accepter de la communauté britannique au Soudan mais il n'en est rien (EA BV). Ce à quoi ils aspirent, c'est le monde fermé du Guezira Sporting Club où même les serviteurs parlent anglais (WG BSC 132), où l'on peut agir en toute impunité (argent perdu, agression ne prêtant pas à conséquence (WG BSC ). Il s'agit d'un monde hors de la réalité :

The word « Egypt « evokes in you, I suppose, a scene of a fellah trudging home in the twilight, a spade over his shoulder, and his son leading a cow behind him. Well, Egypt is a place where middle-aged people play croquet. (WG BSC 129)

La langue anglaise permet de masquer une réalité déplaisante. Ainsi, Akram, complexé par son accent, renonce-t-il à parler arabe au profit de l'anglais (RA SS 124) bien qu'il n'en ait aucune notion au départ. Il imite le professeur (‘He took one teacher and copied his way of talking word for word, every day’(RA SS 124)) comme d'autres imitent des acteurs (‘My classmates [...] marveled at my perfect command of the English language (when all I was doing was mimicking the British actors I had seen on television)(RS NI 26)). Parler anglais serait (se) jouer la comédie en créant un personnage aussi factice que l'univers auquel il aspire à appartenir. L'utilisation de la langue anglaise a pour conséquence une superposition :

I was amazed at the change of tone [...]. It was as if another man was speaking [...]. It was a mask he wore. (YZ BDG 15)

En fait, posséder l'anglais révèle son altérité radicale, l'impossible identification à ceux qui en sont les véritables maîtres, les Anglais (ou les Américains), comme l'illustre cette rencontre de Khalid avec un de ses compatriotes qui est allé plusieurs fois en Amérique.

There is [...] an alien affectation in his speech. I foresaw that he had been in America. He does not ask me the conventional questions about my religious persuasion; but after his inquiries of whence and whither, he offers me an Egyptian cigarette, and goes in to order the coffee. (AR BK 254)

Les habitudes culturelles reprennent le dessus même si le masque de la langue étrangère les avaient occultées un temps très bref. Il n'y a pas d'adéquation entre la langue et la nationalité. La langue n'est pas le seul facteur de reconnaissance ni d'appartenance à un groupe. D'ailleurs le cuisinier espion de Pétra cache sous la perfection de son anglais son anglophobie. (YZ BDG 14-15)

Pour Rayya, l'anglais est une langue véhiculaire, permettant d’avoir accès à l'Autre, l'Anglais, l'Occidental (‘[My notes] are in English, and I want to see how they sound to English ears.’ (YZ BDG 961)), afin qu'il entende une autre version des faits. Pour Rayya, il n'est pas question de s'identifier à la langue véhiculaire; au contraire, malgré cette utilisation purement pragmatique, elle continue à affirmer son extranéité :

[Her English] was almost perfect with an accent [...]. It was abhorrent to her to speak English or French like a native. She deliberately kept her accent so as to mark her foreignness, her rootlessness and her exile. (YZ BDG 29-30)

La persistance d’un accent, défaut dans la perfection, est le signe d'une identité autre, qu'aucune langue imposée ni utilisée ne peut effacer. L'accent introduit une distance, un espace, dans lequel la voix propre du sujet se fait entendre dans la langue empruntée. Cet hiatus signale le refus d'assimilation, la rupture entre le sujet arabe et la langue de l'Autre qui le structure différemment, le déforme. S'il n'est pas apparent chez les tenants de la perfection, peut-être faut-il en chercher la trace inconsciente dans l'affirmation constante de cette perfection : le besoin de dire cette perfection révèle un doute, un désir de s'entendre confirmer qu'on est en adéquation avec le modèle choisi. L'affirmation de l'adéquation, paradoxalement, souligne l’hiatus.