a – A vagrant word’.

Les mots vagabondent. On sait qu'il n'y a pas adéquation entre signifiants et signifiés. ‘For both words «foe», and «friend» are the creation of his word - his I. [...] Can one thing be at once two self-excluding things?’ (MN BM 56). Dans le passage d'une langue à l'autre le signifiant flotte bien que la langue arabe soit vécue comme une tentative pour le fixer, l'emprisonner dans un sens :

Arabic was such an enchained language, each link slipping through the next, that one was forced, whatever one's inclination, into the poet's musing on origins of meaning. (SA L 149)

Cette idée d'un enfermement qui s'engendre se trouvait déjà sous la plume de Mikhail Naimy :

And words - are they not things sealded [sic] up in letters and in syllabes? How can your lip, which is itself a seal, give utterance to aught but seals? (MN BM 44)

La langue devient fermeture, inapte à l’échange, à la communication. Au lieu de transmettre les mots détiennent, retiennent ce qu’ils contiennent ( ’words are vessels’ (MN BM 228)). Ces mots sont d'ailleurs des choses, des objets ( thing  est récurrent pour les désigner) directement identifiables à ce qu'ils désignent ou signifient. Dans la nouvelle ‘Beyond the wallde Rima Alamuddin (RA SiS141-156), les mots ont des formes (shapes), sont des formes qui objectifient le discours : ‘His voice had taken every shadow of meaning from every word and breathed it all together into a giant, golden honeycomb.’ (RA SiS148) et le locuteur de ce discours est lui-même objectifié et perd son statut de sujet de la parole.

Mais cette tentative, cette tentation de faire coïncider signifiant et signifié est illusoire :

Beware words because they easily change meaning and create harrowing misunderstanding. (EAd PWN 41)

Signifiants et signifiés se frôlent ( Her name could have been Rosemary / could have been Camellia / Rose or Lily.’ (EAd SFO 29)), échangent leur fonction (  Arab astronomers turned flowers / into names for constellations.’  (EAd SFO 29)) accentuant ce que Carl Gibeily appelle la relativité du discours (CG BP 187). Ils sont surtout pris dans un réseau de connotations, de sous-entendus d'initiés ( The Dictionary [...] often falls short of human experience’ (AR BK 104)) dont l'ignorance conduit le destinataire (voire le locuteur) au contresens. La langue devient alors mensonge (MN BM 88) et le discours labyrinthique (MN BM 45) puisqu'il ne fait plus sens, mais part dans tous les sens. Mais peut-être faut-il s'interroger avec Mikhail Naimy sur l'auteur, l'architecte de ce labyrinthe : if your speech be such a woeful maze, it is because you are that woeful maze’ (MN BM 45). S'il y a perte de sens, c'est probablement que le sujet de la parole souffre d'un déficit de structure.

La fluctuation habituelle du sens dans une langue est compliquée par la contiguïté, voire la simultanéité, des deux langues. On a cité des exemples d'homophonie entre les deux langues ( ’Fidei’ (CG BP 74) ; ’sham  (AR BK )), de rapprochements entre un signifiant d'une langue et un signifié ou des connotations de l'autre ( ’Alcohol’  (CG BP 96)), de liens étymologiques entre les deux langues ’abattellement’  (NS QFT 42)), autant d'éléments qui peuvent créer une confusion, une perte du sens, à moins qu'ils ne soient source d'enrichissement : chaque nouvel apport donne plus de sens et fait évoluer le sens ( ’the evolutionary nature of languages’  (CG BP 48)). Ce dynamisme de la langue, grâce à la fécondation d'une langue par l'autre, va à l'encontre des tentatives de fixation qui vident la langue de sens. Il va dans le sens d'une création originale au point de rencontre des deux langues : les jeux de Carl Gibeily ou d'Ameen Rihani en sont les meilleurs exemples.