b – The pattern of the words’.

Mais ceci n'est possible que dans le cadre d'une structure. Ce n'est pas, comme Etel Adnan semble le suggérer, lorsque le sens disparaît que la poésie commence (EAd SFO 49), mais lorsqu'une nouvelle structuration se met en place.

... my staring eyes ached to grasp
the genuine form [...]
for I would perish in a Babel... (AL TF
17)

Ce court poème d'Andrée Lake/Chedid s'organise autour de l'angoisse devant la confusion (wandering, dimness, chaos, confusion) et le désir d'une structure sans laquelle le sujet disparaît.

L'utilisation d'une langue étrangère passe souvent par une phase de non-structuration : des mots mis bout à bout repris par l'interlocuteur anglophone (‘he addressed him in single words without grammar (EA BV 67)). Sachant la tendance à l'imitation du néophyte, on comprend comment il peut être maintenu dans un état de dépendance linguistique : le petit page de l'hôtel londonien face au vieux chef de village soudanais jouit de sa capacité à le manipuler :

The little cherubic page [...] knew by now the extent of the English vocabulary possessed by the funny black gentleman who always joked with him, and he addressed him in single words without grammar, but with a permanent smile. (EA BV 67)

Sourire sardonique de celui qui infantilise l'autre en se jouant de lui et des lois de la grammaire et ainsi acquiert un statut de supériorité que son rang de page ne lui permet pas d'atteindre autrement. Ce qui pousserait à croire qu'on peut apprendre aux vieux singes à faire la grimace, puisqu'au sourire du page répondent un autre sourire et quatre mots sans liens, ceux du vieil homme : l'inarticulation entraîne l'inarticulation.

Mais peut-être le vieux Sheikh Ahmed a-t-il été mis en garde contre la prolixité et la verbosité arabes, si souvent dénoncées dans les textes de ce corpus : en anglais il est sobre, alors qu'en arabe il se laisse aller (EA BV 66). Dans The Book of Mirdad on trouve plusieurs conseils sur la brièveté, garante d'efficacité du discours. Le bavardage crée la confusion (MN BM 91), nuit à la clarté de la pensée (CG BP 214). Mais c’est moins l'abondance de vocabulaire qui nuit que l'absence de liens grammaticaux entre les différents éléments du discours. C'est la leçon qu'essaie de communiquer Shakib à son ami Khalid :

Khalid loves a fine-sounding easy-flowing word; a word of supple joints, so to speak; a word that you can twist and roll out flexible as a bamboo switch, resilient as a fine steel rapier. But [...] Shakib (...]) takes from the bottom drawer of the peddling-box the evil-working dictionary, and places therein a grammar. (AR BK 53)’

Ainsi Khalid est-il conduit à repenser sa théorie - ou plutôt sa pratique - qui se résumait ainsi :’ words before rules, ideas before systems, epigrams before texts’ (AR BK 52), comme si la langue ne structurait pas la pensée. Il est conduit vers une théorie de l'abstraction :

The richest language [...] is not the one which can boast of a thousand names for the lion or two thousand for the camel, but the one whose verbs have a complete and perfect gamut of moods and tenses. (AR BK 53) .

On passe d'une représentation imaginaire (‘a noun can be represented pictorially’ (AR BK53)) où le sujet lui-même est objet, à un discours dont il est sujet de l'espace et du temps.

Anwar Barradi, le Palestinien blessé de Lebanon Paradise qui a perdu l'usage de la parole, n'est qu'un tas de chair mourante ( ’mass of stripped humanity’  (EA LP 151)) jusqu’à ce que Violette reconnaisse une structure :

The man opened his mouth, and the lump of lead moved in it, making a sound, a series of sounds, almost wholly vowel sounds, with the merest suggestion of consonants, swollen and muffled beyond recognition. But Violette's ear caught the pattern of the words. [...] The syllabes came out again consonantless, thickly nasal, with a stiff-jointed attempt at articulation that yielded only clots of sound. [...] Again the blob of syllabes came but, gargled shapelessly from the throat. And again, catching only their contours, Violette said, « Anwar? » [...] But the blob or blobs that were his surname still had no recognizable shape. (EA LP 152-153)

Les consonnes ici, comme les verbes auparavant, servent de charpente pour que le discours se construise, pour que le sujet se structure par ce discours identifiable par l'Autre. Dans la mesure où la structure est différente d'une langue à l'autre (AR BK 54), on comprend la confusion, la difficulté à prendre des repères. L'aphasie d'Anwar Barradi est celle de tout individu exilé dans une autre langue sans préparation ni repère; amputé de sa langue, il ne peut dire sa perte que par bribes incompréhensibles qu'une autre langue traduit (comme Violette repère et énonce son nom); l'interprète, en (ré)introduisant une structure permet au sujet de se replacer dans le cadre normal d'un échange de l'un à l'Autre, dans une langue intelligible par les deux.