2 - Un sujet en rupture.

Le sujet ainsi fragmenté perd non seulement son intégrité mais se retrouve, en outre, séparé des autres :

She had lost the energy to be coherent in expressing herself. (RA SS 119)

La désarticulation du je qui se manifeste de différentes manières, telles que la dyslexie de Khaled (CG BP ) ou les visages flous des portraits de Samar (RA SS ), cause une rupture dans la cohérence, dans la continuité du sujet, ce qui se traduit par une compartimentation (‘separate compartment of his mind’ (YZ BDG 65)) qui affecte son appréhension de la réalité intérieure et extérieure. Il se produit alors une confusion entre la réalité et l'imaginaire, le réel et le fictif, qui parfois coexistent (‘Inside it was cold and in England with Mark and the darkness, and outside it was Beirut, with Tennyson and Salam.(RA SiS36)) en bonne intelligence, comme le suggère le personnage de la nouvelle de Rima Alamuddin (‘It was easy to lead these two lives. [...] Simple.’(RA SiS36)). Cependant, la plupart du temps, il y a confusion : la note de l'auteur introduisant la nouvelle dont les deux citations précédentes sont extraites montre que rien n’est simple dans cette double vie (‘Don't ask me to be precise’ (RA SiS17)). L'alternative à cette confusion consiste en une déréalisation : l'une des composantes du sujet (avec son environnement) perd sa réalité aux yeux du sujet. On comprendrait aisément qu'un Peter Mason (EA TL 28) ou un Faris Deeb cherchent à rejeter leur partie meurtrière dans la zone du fantasme :

The traces of his deed were departing from his body, and also from his mind. [...] As the thing itself had happened in the night, in a world of shadow and fantastic visions far removed from the routine of his ordinary life, its reality made little impact on him now. It was more like a dream than something that had actually happened. And as no trace of his crime had been left on the surface of the earth, its reality seemed to him to have been altogether abolished. (EA DM 144)

Ce faisant, ils deviennent eux-mêmes des fantômes (‘a pale shadow’ (EA TL 31 ; YZ BDG 70)), ce qui a pour conséquence de les séparer des autres :

They seemed very far from him. Everything seemed very far from him. It was as if he was living on the floor of the ocean, separated by dense masses of water from other human beings, or as if his world were an immense desert and the apparent nearness to him of other people a trick of mirage. His sense of the reality of personal relationships, his human bearings, were dulled to the point of obliteration. (EA TL 74)

Ce qui se produit est en fait une déréalisation de leur quotidien (SKA OD119-122), de leur normalité, comme si l'acte qu'ils ont commis rejetait la normalité dans une zone mythique. Parce qu'il y a duplicité, imposture, comme on l'a vu auparavant, la réalité devient à son tour une farce (‘reality had turned into a hideous mockery of itself’(EA CJM 107)). L'acte contre nature - meurtre au sens propre ou figuré (ne tuent-ils pas une partie d'eux-mêmes en changeant de langue, en se vendant à l'ennemi...) - les met au ban du cercle dont ils font partie :’ no vital link connected him with them’ (EA TL 75) ; ‘I could still see the serenity around me, but had already lost the power to feel it (WG BSC 197). Le fossé creusé est immense (‘there seemed to be such a chasm of time and identity between the happening of the night before and the conversation on the terrace’.(EA DM99)) au point que le sujet pris entre ces absences (ou plutôt ces pertes) de deux réalités devient une chambre d'échos (‘his mind was echoing Captain Jubara's last sentence’(EA DM 99)) : enveloppe vide, flottant et s'éloignant des autres en se défaisant (‘that’s what we are, little clouds that any wind can shatter’  (EAd PWN66))  .

Cette rupture de la continuité enferme donc le sujet dans une forme que certains utilisent pour limiter leur disparition ( ‘I was fading’(SKA OD 18)). Ainsi, les écrivains reforment-ils cette enveloppe, soumise à des tensions contradictoires qui la vident de sa substance, dans leurs livres.