b - Fragments autobiographiques.

L'unité du sujet pourrait/devrait se trouver dans le récit autobiographique. Un tel récit peut, certes, revêtir de multiples formes : lettre, journal, récit d'une vie, confessions. Chacune de ses formes constitue une unité en soi. Or, il se trouve que dans notre corpus, ces unités sont combinées entre elles à moins qu'elles ne soient fragmentées pour être adjointes à d'autres formes. Le texte le plus représentatif de ce type de manipulation demeure A Beggar at Damascus Gate, mais aucun des autres romans n'y échappe totalement. Tous revêtent, à un plus ou moins grand degré, un aspect de mosaïque en incluant qui une lettre, qui un fragment de journal, qui une confession... même quand il ne s'agit pas de récits à la première personne. C'est ainsi que Spring to Summer se déroule presque entièrement à la troisième personne mais son épilogue est un extrait de journal de Salwa, incluant une lettre de Samar. Comme s'il était difficile de s'en remettre uniquement à l'anonymat de cette troisième personne et que le recours à la première personne était une nécessité vitale, parce que seule, cette première personne serait à même de dire quelque chose du sujet. C'est peut-être la raison pour laquelle les confessions abondent. Peter Mason (EA TL) se confesse à plusieurs reprises de même que Charles Pearson et Julian Masters (EA CJM) : ces confessions dues à leur culpabilité viseraient à les libérer du poids de celle-ci. Mais cela ne fonctionne pas. La répétition de la confession ôte toute réalité à son objet :

He had told the whole story to Catherine, to his father and to Rhees, and now he had to tell it a fourth time. [...] This was not the confession of a fiancé, or a son, or a suspect, but the recital of a client. [...] There was a nightmare unreality about this narration. (EA CJM 80 ; 33)

La répétition confère un caractère fictif à l'acte en devenant publique. C'est d'autant plus vrai que les confessions se font en général devant un public acquis. Peter Mason se confesse à sa femme, à son ami, qui le soutiennent, le disculpent, l'excusent même :

He had made each confession hoping that it was going to bring him peace, but as the hope died each time he had been impelled to make the next confession. And now the confession to Walter had failed! (EA TL 175)

Pour avoir un effet libératoire, la confession a besoin de la sanction de l'Autre, et non du même. Le même n'offre aucune garantie autre que d'être le miroir du locuteur : la vérité dépend du sujet; c'est une vérité interne à son récit : ‘There was no tittle of evidence except his own story’(EA TL 188) ; ’There's only Peter's own story with no outside evidence whatever to support it.(EA TL 197). Seul l'Autre serait à même de percevoir les failles (‘I thought we might between us see some flaw in it’(EA TL 197); ‘When he and Genevieve [...] compared notes, certain discrepancies would appear to them.’(EA DM77 ; 87)). Si l'histoire confessée revêt un caractère de plus en plus fictif, n'est-ce pas parce qu'elle masque une autre confession plus difficile à faire?

Couldn't the whole thing be a delusion conceived merely as an excuse for self-torture in the expiation of imaginary guilt? [...] Couldn't the guilt of the love affair together with the shock of the murder have reduced him into such a state of mental distress that he gradually appropriated to himself the guilt of the murder as well? She had heard of people imagining that they had committed crimes of which they were completely innocent, and confessing to them... (EA TL 187)

S'ensuit-il que l'abondance de confessions, qui se manifestent dans ces textes sous la forme de ces fragments autobiographiques plus ou moins longs, est, d'une part, une manière de vider la culpabilité de son objet, de son sens premier et, d'autre part, de laisser transparaître une culpabilité autre, décalée par rapport à l'aveu de la confession? L'absence de sanction liée au défaut du Père noté auparavant contraint-il le sujet à rechercher auprès d'un public étranger, allogène, une condamnation ou un pardon pour avoir pris une autre langue, pour s'être glissé dans un autre je, pour s'être donné de nouveaux pères? Peut-être que la faille dans la confession se montre là où son évidence est telle qu'on finit par l'oublier, c'est-à-dire dans la fragmentation de ces récits autobiographiques. Ces fragments disséminés révèlent le sujet là où on l'attend le moins. Mais dans ces je enfouis, masqués par des troisièmes personnes dont ils seraient l'expression, le sujet trouve une protection qui étouffe l'écho de sa révélation.