c - Romans de formation.

Si le sujet ne parvient pas à trouver une cohérence dans un récit autobiographique qui demeure fragmentaire et fragmenté, il a peut-être quelque chance d'y réussir dans un roman de formation. En effet, la plupart des romans de notre corpus s'inspirent de ce genre littéraire dans leur structure parce qu'il offre un moule qui impose une forme à la vie décrite. Par sa linéarité, sa progression chronologique, ce genre donne un sens, une cohérence aux éléments disparates d'une vie pour en faire une histoire. Il permet une unité du moins formelle, sinon réelle. Il y a du désordre dans ces vies (SKA OD 80) et l'écriture de ce genre donne une trame à la recherche de l'ordre après avoir, dans un premier temps, fait ressortir et reconnaître le désordre. ‘Thinking about the letter to Anna took hours, most of the flight time to Washington. It served several purposes; [...] My subconscious made the proposed letter untidy.’(SKA OD 80) : en mettant en parallèle les fragments de son histoire avec le temps (objectif) du vol, Daoud trouve l'ébauche d'une structure temporelle (‘a full review in sequence, without repeating myself (SKA OD 172)) qui lui donne accès à un début de structure en tant que sujet (‘It need [...] to reinstill a measure of discipline [...]. It might allow me to get a grip on myself and start me on the road back to normality.’ (SKA OD 66)).

Ce travail de structuration semble ne pouvoir être que rétrospectif. Même dans le cas d'un journal écrit régulièrement, des trous, des lacunes, apparaissent à relecture :

Although exhausted, I decided to write the details of my journey while they were still fresh in my memory, before going to sleep.[...] Only when I read what I wrote yesterday did I realize that I have not said a word about the reason for my trip to Sayda.(NS QFT 62)

Afin de trouver une cohérence, une remémoration, un retour en arrière s'imposent:

But I had better first narrate all the facts which were progressively revealed over the past months and found a happy conclusion on this very day. (NS QFT 91)

A partir de là, un nouveau déroulement fait apparaître les failles :

I still kept repeating the journey, looking for something that I still didn't have, a simple clue as to where it got out of hand. (SKA OD 24)

Même si ce travail de recomposition comporte une part de sélection (AR BK 19), cette dernière doit viser à ne pas ajouter au chaos apparent.

Le roman de formation traditionnel montre l'évolution d'un individu vers son accession au statut de sujet. En ce sens, Spring to Summer ou Lebanon Paradise sont typiques. Violet passe d'une image imposée à une individualité propre : ‘When we got engaged I still wasn't myself; I was only my parents' idea of what I was. [...] You don't want to marry somebody else's idea of me.’(EA LP 118).

Si Violet ou Samar parviennent, seules, au travers d'épreuves, à se constituer en tant que sujets, la plupart du temps, un tiers est nécessaire. Pour Khalid (AR BK), Rayya (YZ BDG ), Tareq (SA L ), seule une intervention extérieure parvient à dénouer des fils enchevêtrés (‘I had to unravel their story’(YZ BDG 18)) et à donner une forme à un amas de cahiers, de notes, de témoignages sans lien logique apparent. Ce narrateur extérieur s'approprie ce qui devient ses personnages et recompose une histoire, son histoire et non pas leur histoire, même s'il se range derrière un je qui serait le leur :

They would tell it in their own words, which I extracted and translated from their papers. The task was easy for they both wrote in the first person, and my work was mainly selecting and joining the thread of the two narratives to make it comprehensible. (YZ BDG 134).

Le narrateur fait glisser (par translation) leur je pour qu'il comprenne son je. D'ailleurs, selon Emile Benveniste, le je ne peut être que singulier et n'appartient qu'au sujet de l'énoncé, à savoir le narrateur. Même si d'autres je viennent en abyme, il est la dernière instance à laquelle ils se rapportent. Comme Schéhérazade, le narrateur entraîne le lecteur dans des histoires qui ne sont que des leurres (‘How similar to Scheherazade you are, with your stories of the East leading me along, besotted or bemused’(YZ BDG 52)) puisqu'elles ne visent qu'à masquer sa stratégie de survie : les histoires qu'elle raconte sont accessoires. Le narrateur utilise les schémas de formation de ses personnages pour se (re)composer lui-même.

Ainsi les écrivains arabes d'expression anglaise confrontés à un certain désordre dû à l'enchevêtrement des langues et des cultures doivent-ils s'en remettre, pour dénouer l'écheveau de leur expérience, à un tiers qui ne serait autre que le moule littéraire qu'ils ont choisi pour se dire. Mais le moule les dit en leur imposant sa forme et ses règles.

Dans cette entreprise apparaît le danger de créer un monstre :

« You dont want a man, you want a figurine to lock behind glass, to look at form time to time » [...]. He did not know then how near he was to the truth, for was I not in the act of immobilizing him forever in words. (YZ BDG 102-103)

Le danger consisterait à se donner en spectacle sous une forme fixe, définitive. On voit que ce danger est évité puisque plusieurs écrivains déclinent cette problématique dans plusieurs romans (et dans d'autres textes). Pour les écrivains d'une seule oeuvre, le flottement de la résolution est un autre signe de cette ouverture de leur œuvre.