d - Contre une lecture biographique.

Un autre danger pour le lecteur serait de faire une lecture biographique de ces romans, de les enfermer dans un schéma réducteur. Ce serait facile pour certains auteurs, en particulier Edward Atiyah. Black Vanguard suit d'assez près la trame de son autobiographie An Arab Tells his Story. Les auteurs du Mahjar puisent dans leur autobiographie et leur biographie respective pour leurs œuvres. Said K. Aburish utilise des éléments autobiographiques qu'il exploite par ailleurs : lorsqu’il écrit,‘My plans to go to the South of France to write a book about my family, a microcosm of social change in the Middle East’(SKA OD 13), cela semble évidemment faire référence à Children of Bethany. Il tire de nombreuses situations romanesques de son observation journalistique de l'Hôtel Saint Georges de Beyrouth, rapportées dans The Saint George Hotel Bar. L'itinéraire du héros de Hunters in a Narrow Street suit celui de son auteur. Mais une lecture biographique de ces œuvres les limiterait à un champ purement anecdotique, alors que leur intérêt structurel l'emporte. Il y va du sujet en général et non pas d'un individu particulier. Les auteurs ont d'ailleurs conscience de ce problème lorsqu'ils mettent en garde le lecteur.

Any story told in the first person and set in places tragically battling with their destiny is likely to be considered autobiographical. But the author wishes to emphasise that this story, though based on conflict and tragedy authentic to place and epoch, is in no way whatsoever a story of his life in Baghdad . None of the characters are based on actual persons, nor is there any likeness between the narrator, Jameel Farran and the author, except in so far that they both left Bethlehem for Baghdad in 1948 to take up a teaching post in a college. (JIJ HNS )

S'ils empruntent à leur autobiographie de quoi alimenter leur fiction, c'est pour mieux la transcender. C'est ce que Rayya signifie à Alex qui se cherche dans les pages de son journal qu'il lui a dérobé :

While it is true [...] that in everything I write there is an element of autobiography, you would not recognize yourself in what I write. You realize, of course, that there is a process of abstraction. (YZ BDG 78).

Ce qu'il faut chercher, ce ne sont pas tant les ressemblances factuelles que les traces de la quête d'un sujet en souffrance, en errance, en désir de cohérence. Si Edward Atiyah se raconte dans son autobiographie et qu'il éprouve à nouveau le besoin de raconter une histoire de couple mixte dans un roman, c'est que la résolution de l'autobiographie n'est pas satisfaisante et qu'il subsiste un problème qu'il n'arrive pas à dire. Et ce n'est pas uniquement dans Black Vanguard qu'il faut rechercher sa démarche, mais dans tous ses autres romans où l'on perçoit un clivage identitaire mis en scène de diverses manières afin de le circonscrire, de l'appréhender dans sa totalité et sa diversité. C'est un processus d'abstraction, de métaphorisation, de distanciation : le sujet se produit sur une autre scène, dans les deux sens du terme : il se crée et il se joue la comédie. Comme dans l'autobiographie, il y a un doute sur le sujet qui sort du texte écrit.