b – Comme s’il n’y avait de paysage possible que dans l’exil’. 1244

Si l’on recense les paysages dans les textes du corpus, on remarque qu’une grande partie d’entre eux sont construits à partir de la mer. Certes, il arrive que le locuteur se situe dans le paysage qu’il bâtit, mais la tendance à s’en exclure est récurrente. Si les verticales et les horizontales demeurent identiques, les autres points de repères changent, s’inversent, causant un certain trouble chez le sujet qui perçoit son environnement autre: la terre rapetisse (‘the city appeared even smaller when seen from afar by the infinite sea.’ (NS QFT 32 ; RA SiS81)), la mer s’ouvre alors que, vue de la terre, elle est souvent perçue comme une limite ou un espace clos (‘The horizon was so high that it gave the sea a vertical look and seemed like the top of a straight wall.’(EA LP 8 ; 49 ; EA EFE 6-7… ; RA SS30)). Cette forme de dépaysement trouve probablement sa source dans l’exil du sujet, exil matériel qui le fait sortir du pays, le lui fait voir de l’extérieur, au départ ou au retour. Ce regard de départ n’est pas nécessairement très détaillé :

One more longing, lingering glance behind, and the dusky peaks of the Lebanons […] recede from view. (AR BK 25)

L’éloignement, en sortant le sujet d’un paysage dont il était partie intégrante, lui donne une distance qui lui permet d’en saisir les lignes et les directions. C’est sans doute ce qui explique la prolifération de paysages dans les pages de ces romans. On peut considérer que c’est la séparation, la nostalgie, la perte qui les reconstruisent. Une fois qu’il en est exclu (qu’il s’en est exclu), le sujet tente de reconstituer les différentes couches du paysage. Qui plus que Rayya (YZ BDG ) ou Jameel Farran (JIJ HNS ) cherche à reconstruire la Palestine perdue? ’I am […] the olive tree on the hills of Palestine I am the spring of waters in its valleys…’ (YZ BDG157). Tous les voyages, tous les paysages, toutes les villes rencontrés ne sont que symptômes de la ville, du pays perdus : ’I had forgotten my travels and could not remember what any city in the world looked like – any city, except one. […] I came to Baghdad with my eyes still lingering on it – Jerusalem.’ (JIJ HNS7)

Le sujet exilé ne fait pas partie du nouvel espace où il n’a ni place ni repère. Il s’y retrouve par le truchement de comparaisons (ou de métaphores) avec l’espace d’où il vient. Il superpose son paysage d’origine au nouveau :

I love desperately the walls that limit the current; they’re tall, stone built, and I tell myself that they remind me of my particular Orient, old Damascus’s stones […] Paris is a nordic city with a mediterranean culture, and that’s why it’s a maddening place. You can never escape that equation. Where am I? […] Why, why Damascus haunting Paris, why the Mediterranean under this familiar light? (EAd PWN 104)

Ce réseau, cette intertextualité,  entre les villes, entre les lieux, constituent le paysage vu de la mer, vu de l’extérieur, composé de ce qui fait le sujet, sa nostalgie structurée par la langue et la culture d’Outremer. L’abondance de paysages vus de l’extérieur est le produit de l’altérité partielle du sujet bi-culturel; elle traduit son incapacité à être totalement dans le paysage qu’il représente.

Notes
1244.

Besse, Jean-Marc. Voir la terre. p.125.