d – Un espace vivant.

The mountain range is a giant resting on his right side, with the top of his head inclined towards Asia Minor, his feet lying on the burning sand of the south-western extremity of the Syrian desert; his left arm reposes on the hip, adding altitude to his considerable width; his right arm is outstretched with fingers idle in the Mediterranean pond. He looks like a fallen martyr. The Dog River, turning red with alluvium from every melting of snow, cascades across the arm from a wound in the giant’s neck. (CG BP 345-346)

Le paysage est humain. L’anthropomorphisme de ces quelques lignes apparaît de façon récurrente dans les évocations de paysages. Cela va au-delà de la forme puisque ce paysage est capable de sentiments : ’See, how the fissures in the boulder yonder seem to sympathise with the gaps in the terrace walls : the cyclamen leaves in the one are salaaming the cyclamen flowers in the other’ (AR BK 183). On se trouve donc devant un paysage qui serait une entité indépendante, doté d’une vie à part entière. Cette humanisation du paysage se poursuit avec l’assimilation de la terre à la femme. Même si Etel Adnan tente d’établir une distinction entre paysage rural ou naturel et paysage urbain (‘The opposition city/ nature was similar to the opposition man/woman’  (EAd OCW 16-17)), tout paysage, tout espace est femme. Le cliché de la terre-mère parcourt les textes d’Ameen Rihani (AR BK 191) à Etel Adnan (‘Earth is the mother of us all’ (EAd INH14)), décliné avec ses différents costumes végétaux et agricoles : nature généreuse, nourricière, protectrice, la terre donne, se donne, avant d’être prise brutalement, abusée, réduite à néant. Si le Coran invite à labourer la femme , comme le rappelle Etel Adnan (EAd OCW 16), la terre est aussi maltraitée : la plupart des recueils de poèmes d’Etel Adnan dénoncent le mauvais usage que l’homme fait de la terre :

And Earth?
I found her wounded […]
Earth is woman brutalized
living under awnings
and as thy do with rivers
men pull apart her legs
and raise her on the cross. (EAd SFO
89)

Catastrophe nucléaire (EAd AZ), modification des tracés (EAd JMT 9), intensification arbitraire des cultures (AR BK), envahissement culturel (‘Tourism itself is a form of brutality’. (EAd OCW 132), guerre (EAd B  ; CG BP )) : le corps de la terre est martyrisé : maimed landscapes, raped women  (EAd OCW 33). Mais sous les bombes, Beyrouth continue à affirmer les forces de vie :

But Beirut under siege kept its
women dancing
yes
belly dancing
the mother belly
woman belly
kept its
honor alive
Beirut
danced under a
shower of phosphorous bomb (EAd B
40)

Le ventre de la femme désirée et le ventre de la mère se confondent pour perpétuer la vie, affirmer leur existence, malgré les coupures et les déracinements (‘they […] open wide the earth, shake trees from their roots.’ (EAd. JMT 9))

C’est dans ses coupures, fissures (AR BK 183), manques, exils que le sujet s’identifie à la terre martyrisée, au paysage déformé. Sans nécessairement suivre la théorie de la fractalité à laquelle Etel Adnan se rattache (EAd OCW 33 ; SFO 59), on remarque une identité terre-sujet : ’Arabs are devastated palm groves’(EAd SFO 71) ; ‘I am 4OOO olive trees’ (EAd SFO 59). Si le paysage est corps humain, le sujet est paysage :

Flowers push their way in the hollow
of my ligaments
make roots in my vein
and clutter my throat. (EAd SFO
30)

On se souvient comment Rayya, exilée de Palestine, est la Palestine :  ’I am […] the olive tree on the hills of Palestine…(YZ BDG157)

La terre perdue (volontairement ou non) ne vit que dans le sujet, que dans le discours qu’il tient sur elle : ’words became my landscape’ (EAd SFO 67). Il n’existerait alors que des paysages intérieurs :

All her landscapes were those of the mind; they sometimes materialized into a mountain or a sea, at other times, silhouetted into souks, domes and minarets, or more often were transformed into open space – a space that she terraced with restraint and bathed in a light that she called a Palestinian light. (YZ BDG 16)

Ces paysages seraient projetés sur l’espace blanc de la page, produisant un paysage, ou plutôt une carte du sujet. Comme Challis et sa carte muette de Palestine sur laquelle il traque Tareq, les écrivains traquent quelque chose du sujet en errance. C’est ainsi que certains sujets, ne sont que des points sur la carte (YZ BDG 115-116) alors que d’autres s’étalent sur la page et l’envahissent, comme Rayya qui, malgré son silence et sa réduction à rien, Nada, occupe tout l’espace de la fin du livre. Il s’agit de cette cartographie du sujet qui inaugure la quête de The Book of Khalid :

It is, as it were, the chart and history of one little kingdom of the Soul – the Soul of a philosopher, poet and criminal […] whether on the streets of knowledge, or in the open courts of love, or in the parks of freedom, or in the cellars and garrets of thought and devotion… (AR BK vi)

Le paysage, dès lors, n’est plus fixé par des codes esthétiques ou des impératifs économiques; il est, à l’image du sujet qui s’y projette, flottant, mobile.