e – Un espace en évolution.

Le paysage martyr revêt souvent un aspect de mort. Soraya Antoniusn’y voit-elle pas un squelette ?

The shadows gave the landscape its characteristic aspect of being a maquette of the earth’s bones, set up in some univeral museum of geology. (SA L 91)

Ce paysage mort, immobilisé, ordonné, classifié correspond à l’ordre extérieur que lui impose la lecture occidentale en le figeant dans des codes qui lui sont étrangers. Or, le paysage même s’il semble frappé de mort, comme le suggèrent les métaphores de squelette (‘the city’s rocky promontory jutting into the Mediterranean like a Cro-Magnon skull… the city nasal cavity’ (CG BP 90)), évolue, se modifie de la même façon que les ruines sont envahies par la végétation :

Their [= the cartographers’] city had grown over the war. The metropolis was no longer confined west to the nose, Manara, and east to the cranial hill-top, Achrafieh. Beirut had evolved; it had grown a tangled beard. (CG BP 114)

Le désert, on l’a dit, n’est pas matière statique. Au contraire, le sable envahit le Soudan (EA BV) l’Irak (JIJ HNS ), l’Egypte (SR AS), modifie les formes et les contours :

The soft brick of the greatest structures of the Golden Age had fallen to dust centuries ago, and the desert had reclaimed the vast areas once irrigated and taken for the Paradise of Eden. (JIJ HNS35-36 ; 82)’

On se trouve dans le domaine du précaire, de l’absence – ou plutôt de la plasticité - des formes. Ce paysage de sable est la métaphore de tous ces paysages qui échappent à la représentation ou dont la représentation est condamnée à l’imprécision :

[It] had two smooth and two jagged edges, like a corner chunk of chocolate snapped from the rest of the bar. It was golden, like sand, with a fine ripple of wavy lines, in places lighter, almost white, in places darker, almost brown, like a geographer’s contour lines marking a desert’s dunes and wadis. (CG BP 169)

De ces paysages insaisissables, on a plusieurs exemples. Le plus parlant est sans doute cette montagne sans cesse changeante qu’escalade le narrateur de The Book of Mirdad  :

What appeared to me from a distance a straight, smooth, ribbonlike roadbed now stretched before me, broad and steep, and high, and unconquerable.(MN BM 15)

Paysage mobile (MN BM 15) qui subit les événements – guerre, occupation, restructuration…- mais qui surtout évolue avec le regard du sujet. Le changement de point de vue entraîne un changement de paysage :

One step in this direction, and the entire panorama of verdant hills and valleys is lost to view. […] The horizon, as I proceed, shrinks to a distance of ten minutes’ walk across. And thus, from one circle of rocks to another, I pass through ten of them… (AR BK 250)

Chaque nouveau paysage se présente comme un piège (lure ; cheat ; deluding ; ensnaring. (AR BK 250-251) qui veut arrêter la progression du sujet (pathless, hopeless (AR BK 251), en se faisant passer pour Le Paysage.

Or la métaphore récurrente du désert en marche montre l’impossibilité de fixer le paysage dans un système de représentation unique : ‘One of my painter friend can paint a thousand times over the domes of Jerusalem (YZ BDG 52-53). Journey to Mount Tamalpais est entièrement consacré à la tentation de représenter cette montagne qui échappe aussi bien au pinceau qu’au stylo d’Etel Adnan (‘I tried to catch their contours but they were slowly moving, all the time(EA JMT 9)).

L’écrivain arabe d’expression anglaise pris entre deux langues, deux systèmes de références cultuelles, deux systèmes de représentation, en errance à cause de son déracinement, n’a aucun point fixe d’où lire le paysage. C’est la raison pour laquelle il ne peut produire (et non pas re-produire) qu’une série de paysages, à la fois semblables et différents, aux contours imprécis au point de rencontre de ses deux cultures. Ainsi le paysage est-il continuellement soumis à relecture, réinterprétation, réécriture. Tous les livres, à l’instar de The Book of Khalid sont des livres de voyage : ‘a book of travels in an impalpable country (AR BK vi), voyage au centre du sujet en quête de lui-même : ‘Our identity is the series of the mountain’s becomings.’ (EAD JMT 63), proposition qui pourrait aussi être lue ainsi :our mountain/landscape is the series of our identity’s becomings.

Fig. 23. EAd
Fig. 23. EAd JMT.