b - Une architecture de vie.

The buildings were mostly six- or seven-storied apartment houses on either side of the road, but with an occasional old, arched sandstone building…(RA SS 12)

L’espace architectural voit se succéder immeubles traditionnels et modernes souvent inspirés de l’Occident. Dans la plupart des villes alternent quartiers arabes et occidentalisés. (SR AS). A Bagdad, la belle ordonnance de Rashid Street s’estompe à mesure qu’on s’éloigne du centre - vitrine de la modernité du pays - et laisse place à un univers chaotique et mystérieux (JIJ HNS 20-22). Ce n’est plus une rue droite unique que le voyageur découvre (JIJ HNS) mais un labyrinthe, une autre ville dans la ville. Cette variété témoigne de la diversité sociale et culturelle des habitants.

De nombreuses maisons sont décrites. Parfois elle sont comparées (ou opposées) à des habitations de type occidental. Ainsi la maison de Mahmoud ou les huttes de paysans apparaissent à côté de la maison de Sir William Carter ou de la ferme expérimentale : on note les différences dans l’utilisation de l’espace, dans la relation à l’espace extérieur. Aux pièces vastes et ouvertes sur l’extérieur des résidences à l’occidentale (‘the large sitting-room which ran across the house from north to south between the two verandahs, and whose large doors and windows were now open…’ (EA BV 107)) correspondent des espaces nettement séparés et définis, privés et publics, masculins et féminins (‘His mother, the women, were always behind the wall ; and Badriya’s roots grew from behind that wall(EA BV 141)). Si ces deux structurations de l’espace représentent deux types de relations sociales, elles sont aussi le signe d’une plus ou moins bonne compréhension de l’environnement naturel et culturel. On se souvient comment la pelouse occidentale attire les insectes, nuisance que les autochtones évitent en maîtrisant les données spécifiques du lieu. Epaisseur des murs, hauteur des voûtes ou des plafonds, terrasses, cours intérieures avec fontaines : l’architecture s’adapte aux conditions climatiques pour donner un confort maximum aux occupants :

They [=rooms] were all large and slightly rectangular in shape, since the ceilings were high to allow hot air to rise and flies to circle well above the humans. Only one of them, giving on the road at the northern corner – where the prevailing south-westerly wind could carry off the smells – was designed for a specific function. […] In the remaining L-minus space, under the window placed to ensure a through draught from the south, there was a large charcoal range built of brick…(SA L 14)

Maisons dépouillées (SA L 14-32) certes, mais conformes à un mode de vie encore proche du nomadisme.

Les terrasses participent de cette structuration sociale : ouvertes tout en maintenant une certaine intimité (NS QFT 76-82), elles permettent aux recluses et aux curieux de prendre l’air et de voir sans être vu(e)s. Mais elles sont aussi un élément de confort que même certains coloniaux savent apprécier :

The choice […] was between the comparatively dust-free and oven-hot air of the bedroom, stirred by the electric fan, and the comparatively cool whipping of the dust hurricane on the roof ; and Sir William was among those who preferred the latter. Like the natives he shrouded himself in his top sheet and buried his head under the pillar. (EA BV 105)

L’épaisseur des murs n’est pas seulement une protection contre des ennemis potentiels, elle est aussi et peut être avant tout une protection contre les éléments :

The two men headed for a room at the rear of the store. Inside was dim, the only light coming from two small barred windows located high in the wall, with the perceivable advantage that no one could see or overhear them. The thick walls of the vaulted place, built during Ottoman times, kept the temperature within cool in contrast with the unbearable heat outside. (NS OH 21)

Les différentes descriptions font ressortir cette adéquation entre architecture et environnement que transgressent les codes architecturaux d’importation. La villa d’hiver imaginée par Hassan Fathy au bord du lac Mareotis naît de la présence d’une source au milieu du désert (SR AS) . Les Occidentaux ignorent ces faits et reconstituent leur univers d’origine, n’hésitant pas à détruire, sous divers prétextes plus ou moins fallacieux, des quartiers entiers de villes. The Lord rapporte la destruction d’une partie de Jaffa sous couvert d’insalubrité :

A town-planning scheme […] would improve the insalubrity of life as it was lived. Death introduced the oxygen. Great swathes were to be cut in the alleys that kept out the sun, the oppressive heat, and the British. Air and light, and as a spin-off the West Kent Fusiliers, were to be admitted. (SA L 120)

Cet embellissementde la ville (‘urban beautification’ (SA L 123)) obéit à des critères politiques et non pratiques : la ville est mise au service de la Loi (représentée ici par le Mandat britannique) et non de l’individu qui y vit. Au-delà des implications politiques, c’est un pan de culture qui est menacé (‘You will all lose your homes […] and you will never be able to rebuild them.’ (SA L 160) et les textes qui insistent sur l’architecture traditionnelle qui scande l’espace avec ses arches et ses voûtes (JIJ HNS 7 ; YZ BDG 18) lui redonnent sa place dans la culture mais aussi et surtout dans le vécu des individus.

L’architecture perdue – détruite (SA L; JIJ HNS) ou occupée (YZ BDG ) – resurgit dans la structure de textes dont nous avons remarqué comment ils enveloppent dans des récits pré-textes (quêtes de manuscrits, récits préliminaires…) un autre texte qui conduit jusqu’au cœur du sujet : ainsi la maison traditionnelle avec ses murs épais qui cèlent sa fontaine intérieure (NS QFT 100) invite-t-elle le visiteur à une découverte plus ou moins aisée, plus ou moins labyrinthique de sa structure. Ce n’est qu’après avoir franchi beaucoup d’épaisseurs de rocs à Petra et de pierre taillée à Jerusalem ou Acre que Mr Foster accède enfin à Rayya et le lecteur n’accède à Rayya qu’après avoir traversé le récit de la découverte des manuscrits et de leur recomposition… ‘I am the spring of water in its valleys.’(YZ BDG 157) : voici le secret de l’identité de Rayya. La maison de Mr Saba n’est-elle pas une métaphore de la plupart des textes de ce corpus ?

From the street, and through a small and long-liying door, I entered a vast courtyard paved with marble. Here in good weather, visitors are received under the fig trees and the lemon trees […], I was ushered into a large room with a marbled floor almost entirely concealed beneath precious Persian carpets. The walls were panelled with cedar wood up to the height of a standing man. The first part of the room is lower than the rest by one step and the two parts are separated by an elegantly carved banister. […] The setee was covered with a beautiful kilim and engulfed in heaps of rich-looking cushions. (NS QFT 44)

La maison du drogman est très différente de celle de Tareq : ‘Simplicity, bareness, pale straw mats, a few copper ustensils adorning the whitewashed walls’ (SA L 32). Entre ces deux intérieurs, on perçoit l’écart entre une identité simple et une identité bi-culturelle. Chez le drogman, tout est couvert (paved, concealed, panelled, covered, engulfed) par la deuxième culture (et la deuxième langue). La hiérarchie entre les cultures et les langues est nettement marquée (lower, separated). Cependant, les espaces communiquent et le naturel  demeure intact (fig trees, lemon trees). Il en va de même dans les textes où malgré la couverture, l’habillage anglais, la culture et la langue arabes laissent une trace indélébile. De la même façon, le problème d’identité qui est au centre de tous les textes ne peut être dissimulé par tous les artifices et tous les genres littéraires pratiqués par les auteurs. Le sentiment d’impunité de l’auteur provient sans doute de ce sentiment de sécurité qu’offre la maison traditionnelle :

Inside all was as it should be. The small entrance zigzag so that even were the door left negligently open no one could peer into privacy, the sloping, tiled squares before every room where shoes were sloughed with the mud and fatigue of the external day, the blissful reassurance of stepping up into intimacy, in bare or stockinged feet, into the clean patterned space of domestic life, scrubbed and sluiced daily […], the solid wall of patterned silos, scuLPted and curving and carved – more reassuring to those clinging to the rim of physical life than any book-lined wall in the cities of richer coasts […]; the great oil jar whose comforting smell reminded the household all through the winter of the spring on the narrow terraced fields, with cyclamen sprouting from every laborious dry-stone wall and the babies rubbing their cheeks purple and red with anemones… (SA L 154)

Maison microcosme, métaphore d’un univers idyllique en train de disparaître que l’écrit tente de retenir pour le réinvestir. L’écrivain entre dans le livre comme dans la maison pour y chercher la sécurité que le monde extérieur lui refuse. Sa double appartenance désordonne (mud, fatigue) son univers originel nettement organisé (clean, patterned, scrubbed, sluiced). En franchissant, dans / par l’écriture, les étapes vers le cœur de la maison, vers le cœur de son identité, il abandonne les couches externes, étrangères, qui ont brouillé son image et ont causé l’instabilité, l’insécurité qui sont probablement à l’origine du projet d’écriture

Fig. 25.
Fig. 25.L’affiche palestinienne. p. 44.