3 – Un espace fermé ?

a – Des prisons.

The waters of my passion […]
Crave to burst through
Boundless spaces […]
And I must bind them to
Stillness
For my frame is but of
(
Clay’ (AL TF 33))

Alors que le Prophète préconisait une ouverture, une fusion dans le grand Tout, le grand Un (‘You are not enclosed within your bodies, nor confined to houses or fields.’ (GKG P 108)), on remarque que le nomadisme du sujet cède à la sédentarisation, comme le montre la déchirante nouvelle de Zaki Asad, Dream : la jeune bédouine amoureuse du fils du sheikh, qui craignait que le déplacement constant ne lui fasse perdre ses chances d’une relation durable, voit le jeune homme emprisonné pour s’être révolté contre la sédentarisation et le partage des terres et de ce fait, ses rêves d’avenir totalement compromis. Les promesses de stabilité se révèlent tout à fait illusoires et au mouvement se substitue l’enfermement. Les textes abondent en espace clos qui limitent les possibilités du sujet : prisons (AS D ; AS DT ; EAd LCT ; EA CJM) , postes frontières infranchissables (KK CAB ; AB SB), harems (NS QFT ; EA BV), bordels (JIJ HNS) mais aussi chambres d’étudiant (EA BV ; JIJ HNS) ; paradoxalement, c’est souvent la quête de liberté qui conduit à l’enfermement : le désir de savoir qui conduit à traverser des frontières est perçu comme transgression et donc sanctionné par une clôture. L’espace familial peut aussi représenter une limitation pour le sujet :

Come and see our lovely garden’, her father would say jocularly […] ; and his friend called him in Arabic «  The Father of Flowers  » … Jardin ! That was it, in a sense deeper than that of a verbal jest. They had all grown up in a garden. But a garden wasn’t life, and she wanted to live. Life was in the wide open spaces. (EA LP 81)

La pression familiale est un mur plus sûr que n’importe quel mur de prison, comme le montre l’exemple du fils de Faris Deeb :

He could not go to Brazil. He dared not write to his cousin. […] His father’s command laid an unchallengeable interdict on his will. He walked along the street of the small village like a prisoner walking in the prison courtyard, though around him there were no walls, but open slopes and valleys stretching to the sky – the sky through which planes flew to Brazil from Beirut everyday. (EA DM 14)

De la même façon, Badriya malgré un court séjour en Angleterre et la volonté de Mahmoud de la voir s’émanciper, est incapable d’échapper aux cloisonnements que la tradition a imposés aux femmes de son pays et de sa condition (EA BV). Pressions des familles, des traditions, des classes : même lorsque les limites ne sont pas matérialisées, l’individu se heurte à une clôture :

He shut the door slowly in a mechanical matter-of- fact way and walked out into the street. […] On shutting the door he had registered the fact […] that it required a second sharp pull to jerk the latch into position and he had faithfully given the extra pull, thinking as usual that the lock was rusty and that a drop of oil […] would put it right… (EA TL 1)

The Thin Line commence par cette insistance sur la fermeture d’une porte qui ne libère pas Peter Mason de son crime mais, au contraire, l’enferme dans sa culpabilité. Plusieurs textes, de manière moins explicite certes, scellent le sujet dans un espace restreint : Mr Foster se trouve pris dans la quête de Rayya (YZ BDG ), Mahmoud est prisonnier d’un mariage par procuration (EA BV), Aimeric se voit confier une mission qui concerne une autre génération (NS O), Jameel Farran est emporté à Bagdad par la vague de l’exil (JIJ HNS)… A lire ces textes, on a le sentiment d’une aspiration à laquelle ces personnages n’offrent aucune résistance comme s’il s’agissait d’une sorte de destin – on a évoqué la tentation du tragique – d’un c’est écrit  (  ) inéluctable. L’individu semble dénué de toute volonté de réagir. Au contraire, on perçoit une crainte. Dans la nouvelle d’Ali Shalash, ‘The Door’, des prisonniers constatent que la porte de leur cellule est restée ouverte ; devant cette porte inopinément ouverte, ils ne savent que faire et après avoir fait entrer un peu d’air frais dans la cellule, ils la referment, effrayés par le bruissement d’une feuille de papier. Ce bruit infime prend la réalité de ce qu’ils craignent (‘the rustling of the paper turned into the sound of big shoes coming forward’(AS D 64)). Leur attitude devant la porte montre leur incapacité à faire face à l’altérité de l’extérieur. Malgré une conscience de l’iniquité de cette fermeture (‘locking the door is a violation of freedom.’(AS D 63)), ils se réfugient derrière la sécurité illusoire qu’elle offre pour ne pas avoir à affronter la réalité du monde extérieur : le rêve de liberté qui conclut la nouvelle s’achève sur une autre porte : ‘And in his mind, the small shut door turned into a fabulous door, wide open and very much like the outside gate of the prison.’(AS D 64) : la porte est magnifiée, de small on passe à fabulous, d’une porte de cellule à la grande porte de la prison. Cette nouvelle exprime le non-statut de sujet de l’individu qui n’agit jamais délibérement (‘without deliberation’(AS D 63)) ; ‘El-fouli’ s hand went down to take hold of the door and shut it completely.’ (AS D 64). La prison n’est pas à l’extérieur, mais à l’intérieur de l’homme :

It seems that we are in a prison which is itself within a prison. It’s endless. […] The whole world, to me, is a prison. […] My skin is a wall, my mind is stuck in here, in my head a prison. […] We are boxes within boxes. (EAd LCT162)

Cette image de cercles concentriques se retrouve dans la géographie d’Amman avec ses circles (RS NI) mais aussi dans le bordel de Bagdad, ville dans la ville (JIJ HNS) ou le ghetto  palestinien entouré d’implantations juives (YZ BDG150). Concentricité, circularité qui condamne l’individu à la répétition (‘Are we condemned to proceed in circles ? […] This repetition is incarceration.’(EAd PWN93)), c’est-à-dire à un repli sur lui-même, à un perpétuel retour sur lui-même.