b – Une page blanche.

Faut-il en déduire que le retour aux origines qu’on a noté auparavant serait un mode d’enfermement du sujet ? Etel Adnan ajoute: ‘It’s also […] a relentless initiation to the self.’(EAd PWN 93) et elle poursuit jusqu’à conclure : ‘The script is perpetually in a foreign language’ (EAd PWN 94). Ce qui nous renvoie au  de la spirale de l’enfermement : c’est écrit ou plutôt c’est à écrire, sur un espace à la fois fermé et ouvert, celui de la page blanche : fermé si la langue et les codes l’emprisonnent, ouvert si la rencontre des deux langues et des deux cultures féconde un espace original, en même temps original et inédit, rétrospectif et projectif.

Le sujet jeté hors de son paysage d’origine le transforme en un paysage intérieur (YZ BDG ) pour ne pas le perdre. Interditde retour par des frontières artificielles, coloniales ou psychologiques, fourvoyé à cause de cartographies systématisées, le sujet s’efforce de restituer son paysage perdu sur la page blanche : paysage varié comme sa bi-culture, mobile à son image d’errant, rythmé par sa démarche de va-et-vient, de départ et de retour toujours à recommencer. La scansion de la langue (des langues) implique à la page écrite un mouvement, comme les terrasses impliquent un mouvement au terrain cultivé – ce qui est plus immédiatement visible chez les poètes à cause de la matérialisation des vers, mais Carl Gibeily joue également avec le rythme et la disposition graphique de son texte.

Disposition, rythme : voilà qui nous renvoie à l’étude de Benveniste sur le rythme 1246 , de la racine grecque , couler, comme coulent les deux grands fleuves, le Nil et le Tigre qui délimitent l’aire géographique de ces auteurs. Ils coulent et aussi coupent en deux l’espace qu’ils traversent, séparant les quartiers du Caire et de Bagdad, interdisant des passages de l’un à l’autre, ordonnant la ville qui se dispose de part et d’autre de cette ligne en mouvement. Ligne imaginaire, fluctuante, qui se retrouve dans le sujet écrivant, ordonnant les espaces culturels et linguistiques. Des ponts traversent les fleuves, permettent le passage et de la même manière les langues et les cultures s’imprègnent l’une l’autre. On vient à Zamalek depuis l’autre rive du fleuve pour célébrer l’ancienne fête pharaonique de Sham-El-Nessim (SR AS), retour aux origines, retour en arrière vers les sources historiques : de l’espace au temps. A partir du  , configuration spatiale définie par l’arrangement et la proportion distinctifs des éléments, on atteint le «  rythme  » , configuration des mouvements ordonnés dans la durée. 1247 L’espace reconquis par le peuple l’introduit dans une démarche de reconquête de son histoire.

Notes
1246.

Benveniste, Emile. Problèmes de linguistique générale. Chp.XXVII. p.327-335.

1247.

Benveniste, Emile. ibid. p.335.